Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/357

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ni la volonté ni la force de les supporter avec l’objet de son choix.

— Est-ce bien vous qui me parlez ainsi, Alix ? J’ai donc mal entendu vos discours, mal interprété vos actions ! Mon sort n’est donc pas tout à fait celui d’un homme abandonné, quoiqu’il ait obtenu la faveur des rois et les sourires des reines ! Oui, ma vie est exposée à des dangers nombreux et terribles ; mais elle n’est pas exclusivement remplie de calamités et de revers, n’est-il pas vrai, Alix ?

Il s’arrêta comme pour attendre une réponse ; mais miss Dunscombe garda le silence, et le pilote reprit la parole.

— Je me suis trompé dans le degré d’importance que j’ai cru que le monde attacherait à mes combats et à mes entreprises. Je ne suis pas ce que je voulais être, Alix, je ne suis pas même ce que je m’étais cru.

— Vous vous êtes fait un nom parmi les guerriers du siècle, John, un nom qu’on peut dire écrit avec le sang.

— Avec le sang de mes ennemis, Alix.

— Avec le sang des sujets de votre prince légitime, avec le sang de ceux qui respirent le même air que vous avez respiré à votre entrée dans le monde, de ceux qui vous ont donné les premières leçons de religion, que je crains que vous n’ayez que trop oubliées.

— Dites avec le sang des ennemis de la liberté. Vous avez vécu si longtemps dans cette profonde retraite, vous avez si aveuglement nourri les préjugés de votre jeunesse, que les nobles sentiments que j’espérais jadis voir éclore en vous n’ont jamais pu se développer.

— J’ai vécu et j’ai pensé comme une femme, comme l’exigeaient mon sexe et ma condition. Quand il faudra que je vive et que je pense différemment, je désire que la mort vienne à mon secours.

— Et voilà les premiers germes de l’esclavage ! Une femme qui vit dans la dépendance ne peut devenir mère que de misérables, que de lâches qui déshonorent le nom d’homme !

— John ! je ne serai jamais mère, répondit Alix avec ce ton de résignation qui indiquait qu’elle avait renoncé aux espérances si naturelles à son sexe ; j’ai vécu seule et sans appui, et je mourrai dans l’isolement, sans laisser après moi personne pour me regretter.

La douceur du son de sa voix et la chaste dignité de sa fierté touchèrent le cœur du pilote, et il garda quelques instants une