Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/413

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mais elle n’en pourrait rien faire, vu que je ne suis pas le fils d’une cannibale ; je sais aussi que votre père vous tenant la dragée haute, il y a souvent marée basse dans vos poches, ce qui aura lieu d’autant plus souvent à présent, que vous venez de fréter un petit bâtiment de conserve que vous serez obligé d’équiper.

— Mais moi, Boltrope, dit Griffith, je suis riche et maître de ma fortune.

— Oui, oui, j’ai entendu dire que vous pourriez construire une frégate, la lancer et l’équiper, sans mettre la main dans la poche de personne.

— Et je vous promets sur l’honneur d’un officier de marine, continua Griffith, que votre mère ne manquera jamais de rien, pas même des soins et de la tendresse d’un fils.

Boltrope parut un moment suffoqué, il fit un effort pour se relever, y réussit, et retomba à l’instant épuisé par l’émotion violente à laquelle il était en proie. On voyait qu’il luttait contre la mort pour pouvoir encore prononcer quelques mots, et enfin il parvint à dire d’une voix rauque et faible :

— Dieu me pardonne mes offenses, monsieur Griffith, et surtout d’avoir jamais dit un mot contre votre discipline. Souvenez-vous de la seconde ancre, et ayez soin de regarder aux surpentes des basses vergues, et… et… il le fera, Dick, il le fera ! mais je sens que je mets à la voile pour un grand voyage. Dieu vous bénisse tous, et qu’il vous donne un beau temps, soit que vous ayez le vent largue, soit que vous pouliniez !

La langue lui refusa son service ; pourtant un air de satisfaction se répandit sur tous ses traits ; mais ils ne tardèrent pas à être contractés par la mort.

Griffith fit emporter le corps du quartier-maître dans une de ses soutes, et remonta sur le pont, profondément affecté du double événement tragique dont il venait d’être témoin.

À peine avait-on fait attention à l’Alerte depuis l’instant où le dernier combat avait commencé ; mais, favorisé par la lumière du jour et par le peu d’eau qu’il tirait, ce cutter avait réussi à suivre la frégate de loin dans le labyrinthe des brisants, et en était heureusement sorti. On lui fit le signal d’arriver, et l’on donna au commandant des instructions nécessaires pour se gouverner pendant la nuit qui commençait à approcher. À peine distinguait-on alors les vaisseaux anglais comme des points blancs presque