Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/95

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— Les armes à la main ! je parle d’un homme noyé, Monsieur.

— Ah ! noyé ! en bien ! c’est à peu près comme pendu. Cette circonstance m’avait échappé.

— Je ne vois pas qu’il soit certain, Monsieur, dit M. Christophe Dillon d’une voix aigre et traînante, que le grand et le petit navire que cet Écossais dit avoir vus soient la frégate et le schooner dont vous parlez. Je doute qu’ils osent s’approcher si près de notre côte, quand la mer est couverte de nos vaisseaux de guerre.

— Ces gens sont nos concitoyens, Christophe, s’écria le colonel, quoique ce soient des rebelles. C’est une nation brave et entreprenante. Quand j’avais l’honneur de servir Sa Majesté, il y a une vingtaine d’années, la fortune me favorisa assez pour me permettre de voir en face les ennemis de mon roi dans quelques petites affaires, capitaine Borroughcliffe : le siège de Québec, par exemple, la bataille qui se donna sous les murs de cette ville, l’action de Ticonderaga, l’infortunée catastrophe du général Braddock, sans parler de plusieurs autres rencontres ; en bien ! Monsieur, je dois dire, à l’honneur des colons, qu’ils se conduisirent admirablement dans toutes ces affaires, et surtout dans la dernière, et l’homme qui est aujourd’hui à la tête des rebelles se fit une réputation parmi nous par sa conduite dans cette journée désastreuse. C’était alors un jeune homme réservé, instruit, bien élevé. Je n’ai jamais parlé autrement de M. Washington, Messieurs.

— Oui, répondit le capitaine en bâillant, il avait reçu son éducation dans les troupes de Sa Majesté, et par conséquent cela ne pouvait guère être autrement. Mais je suis fâché de cette malheureuse noyade, colonel ; elle va sans doute mettre fin à ma mission, et je ne nierai pas que votre hospitalité ne m’ait rendu mon cantonnement fort agréable.

— L’obligation est mutuelle, Monsieur, répondit le colonel avec un salut poli ; mais des hommes qui comme nous ont vécu dans les camps n’ont pas besoin de se faire de compliments sur de telles bagatelles. Si c’était mon parent Dillon, que voilà, et dont la tête est plus occupée de Coke sur Littleton[1] que de la vie d’un soldat et de la gaieté qui règne parmi ses compagnons

  1. Les institutions de Littleton commentées par E. Coke ; ouvrage souvent cité dans la jurisprudence anglaise.