Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/97

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Monsieur, je bois à leur santé de tout mon cœur, et plutôt que de déplaire à un ami tel que vous, avec du nectar tel que celui-ci, je boirais à celle de toute l’armée de Gates, régiment par régiment, compagnie par compagnie, et même, pour peu que vous le désiriez, homme par homme.

— Je ne voudrais pas mettre votre politesse à une pareille épreuve, capitaine, répondit le colonel adouci par une concession si ample. Je vous ai trop d’obligation d’avoir volontairement entrepris de défendre ma maison contre les attaques de ces pirates et rebelles que je suis fâché d’avoir à nommer mes concitoyens.

— On pourrait avoir des devoirs plus pénibles à remplir, colonel, et ne pas en être si bien récompensé. Bien n’est plus ennuyeux d’ordinaire qu’un cantonnement dans un village, et l’on n’y trouve guère que des liqueurs exécrables. Mais dans une maison comme la vôtre, on peut dire qu’on est couché dans un berceau de contentement. Cependant j’ai une plainte à vous faire ; oui, il faut que je la fasse, car ce serait une honte pour mon régiment et pour moi si je gardais le silence plus longtemps.

— Parlez, Monsieur, dit le colonel un peu surpris, et croyez que je m’empresserai d’en faire disparaître la cause.

— Eh bien ! Monsieur, nous vivons ici trois garçons qui restons ensemble du matin au soir, parfaitement bien nourris, et encore mieux abreuvés, j’en conviens : mais enfin nous vivons ici en anachorètes, tandis qu’il y a à cent pas de nous deux des plus aimables demoiselles de la Grande-Bretagne, qui restent dans la solitude sans que nous puissions jamais leur payer le tribut de nos hommages. C’est un reproche à nous faire à tous deux, colonel ; à vous comme ancien militaire, à moi comme jeune soldat. Quant à notre ami Coke sur Littleton, je lui laisse le soin de faire valoir sa cause par toutes les formalités légales.

Le colonel fronça le sourcil un moment, et le visage jaune de Dillon, qui avait écouté cette conversation dans un sombre silence, devint plus livide. Mais le front ouvert du vieillard reprit bientôt son expression de franchise ordinaire, et les lèvres du jeune homme furent entr’ouvertes par une espèce de souvenir jésuitique. Mais le capitaine n’y fit aucune attention ; en attendant une réponse, il buvait un verre de vin par petites gorgées, comme s’il eût voulu analyser chaque goutte qui touchait son palais.