Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/99

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vos deux dames, depuis que je suis dans vos environs, et j’ai le plus grand désir de voir deux beautés assez loyales pour avoir fui leur pays natal, plutôt que de risquer de voir leurs charmes tomber en partage à quelque rebelle.

Le colonel prit un air de gravité, et même de mécontentement ; mais cette expression de déplaisir fit place presque sur-le-champ à un sourire de gaieté forcée, et il se leva de table en s’écriant avec enjouement :

— Vous les verrez ce soir, capitaine, à l’instant même ; nous le devons aux services que nous a rendus votre présence ici, aussi bien qu’à votre conduite sur le champ de bataille. Je ne céderai pas plus longtemps aux fantaisies de ces jeunes filles. Moi-même, il y a près de quinze jours que je n’ai vu ma pupille, et pendant tout ce temps je n’ai parlé que deux fois à ma nièce. Christophe, je vous recommande d’avoir soin du capitaine pendant que je vais au cloître : c’est ainsi que j’appelle l’aile de bâtiment dans laquelle se trouve leur appartement, capitaine, parce que c’est là que demeurent nos nonnes. Vous m’excuserez de quitter la table si promptement.

— N’en parlez pas, Monsieur, vous y laissez un excellent représentant, s’écria le capitaine, en jetant un coup d’œil sur M. Dillon pour fixer définitivement ses regards sur le flacon de vin ; présentez mes respects à vos recluses, mon cher colonel, et dites-leur tout ce que vous suggérera votre excellent esprit pour justifier l’impatience où je suis de les voir. Monsieur Dillon, j’espère que vous ne me laisserez pas boire seul à leur santé ?

Dillon accepta la proposition d’un air froid, et tandis qu’ils avaient le verre à la main, le colonel sortit de l’appartement en offrant de nouvelles excuses au capitaine, et en en adressant même de semblables à M. Dillon, quoiqu’il fût son commensal habituel.

— La crainte est-elle donc assez forte dans ces vieilles murailles, dit le capitaine, dès que le colonel fut parti, pour que vos dames croient devoir se renfermer dans leur appartement, avant même qu’on sache si un seul ennemi est débarqué sur cette côte ?

— Le nom de Paul Jones a répandu la terreur dans tous les environs, Monsieur, répondit Dillon d’un ton froid, et les dames de Sainte-Ruth ne sont pas les seules qui aient conçu de semblables appréhensions.