Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/12

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n’existait cette dissidence dans le goût. Au moment où je me dispose à adopter les avis ingénieux d’un savant aristarque[1], on me remet l’article d’un autre qui condamne tout ce que son rival loue, et qui loue tout ce que son rival condamne. Me voilà comme un âne entre deux bottes de foin ; de sorte que je me décide à abandonner ma nature vivante, et je reste stationnaire comme une botte de foin entre deux ânes.

Il y a longtemps, disent les sages, qu’il n’y a plus rien de nouveau sous le soleil ; mais les critiques des revues (les rusés compères) ont adopté un adroit expédient pour prêter de la fraîcheur à l’idée la plus commune. Ils l’habillent d’un langage si obscur et si métaphysique que le lecteur ne les comprend qu’après une certaine étude. C’est ce qu’on appelle « un grand cercle d’idées » et assez à propos, je puis le dire ; car, s’il faut citer mon propre exemple, j’ai fréquemment parcouru leur monde d’idées, et je suis revenu aussi ignorant de ce qu’ils voulaient dire qu’auparavant. Il est charmant de voir les lettrés d’un cabinet de lecture s’emparer d’un de ces écrits difficiles. Leurs éloges sont dans un rapport exact avec leur obscurité ; chacun sait que paraître sage est la première qualité exigée dans un grand homme.

Un mot qu’on trouve dans la bouche de tous les critiques, des lecteurs des Magazines, et des jeunes dames, lorsqu’ils parlent des romans, c’est celui de keeping (accord des parties entre elles[2],) et peu de personnes y attachent le même sens ; j’appartiens moi-même à l’ancienne école dans cette question, et je pense que ce mot s’applique plus au sujet même qu’à l’emploi d’aucuns termes particuliers ou expressions de mode. Comme il vaudrait autant pour un homme n’être pas de ce monde que de s’écarter du keeping, j’ai cherché dans cette histoire à m’y attacher scrupuleusement. C’est un frein terrible imposé à l’imagination, comme le lecteur s’en apercevra bientôt ; mais sous son influence, j’en suis venu à la conclusion que l’auteur d’un roman, qui prend la terre pour scène de son récit, est en quelque sorte tenu de respecter la nature humaine. J’en avertis quiconque ouvrirait ce livre avec l’espérance d’y rencontrer des dieux et des déesses, des

  1. Reviewer, rédacteur de revues ou gazettes critiques.
  2. Il est peut-être difficile de rendre ce mot autrement que par une périphrase ; il exprime l’harmonie, l’accord parfait des parties dans un ouvrage d’esprit, et l’harmonie des sons et des couleurs en peinture, comme aussi l’observation de certaines règles de dignité ou d’ensemble.