Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/212

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millier dans celui-ci. Mes mains ont été faites pour la hache et la cognée, voyez-vous, et je ne désire pas d’autre occupation. Mais Jared Ransom croit que le sucre deviendra rare dans ce canton cette année, parce qu’il arrive beaucoup de nouveaux habitants, et je me suis mis à en faire ce printemps.

— Tant que la guerre dévastera l’ancien monde, dit Marmaduke, il fournira des habitants au nouveau.

— Il n’y a donc si mauvais vent, juge, qui ne souffle favorablement pour quelqu’un. Il est bien sûr que le pays se peuple ; mais je ne sais pas pourquoi vous semblez attaché aux arbres comme vous le seriez à vos enfants. Et cependant, combien n’en avez-vous pas fait abattre vous-même pour faire vos défrichements ?

— Je ne dis pas qu’il faille que le pays reste entièrement couvert de forêts, Kirby ; mais je soutiens qu’il ne faut pas les détruire sans nécessité, comme s’il ne fallait qu’une année pour en produire d’autres. Au surplus, un peu de patience, le moment arrive où les lois veilleront à leur conservation comme à celle du gibier qu’ils renferment.

En faisant cette réflexion consolante, Marmaduke remonta à cheval ; la petite troupe se remit en marche pour se rendre au but de la promenade proposée par Richard, et Billy Kirby resta seul, au milieu du bois d’érables, occupé de ses travaux. Le feu lent qui brûlait sous ses chaudières, le hangar couvert en écorces, cette foule de beaux arbres qui semblaient percés d’autant de canelles d’où la sève dégouttait lentement dans les vases destinés à la recevoir, l’homme presque gigantesque qui, armé d’une grande cuiller, allait sans cesse d’une chaudière à l’autre pour remuer le liquide qu’elles contenaient, tout formait un tableau qui pouvait passer pour une image assez fidèle de la vie humaine, dans sa première période de civilisation ; et la voix forte de Kirby, qui se remit à chanter sa chanson interrompue, y donnait le dernier trait pittoresque ; tout ce qu’elle put en entendre se réduisait aux vers suivants :


Quand la forêt tombe sous la cognée,
À mes bœufs je chante gaîment,
Jusqu’au retour de la lune argentée
Je crie en arrière ! en avant !
Quand il est temps que le travail finisse,