Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/215

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motifs qui peuvent déterminer un homme à s’imposer des privations pour acquérir des richesses. Les miens étaient aussi puissants qu’ils étaient purs, et il a plu à Dieu de favoriser mes efforts. Si j’ai été exposé aux fatigues, aux obstacles, à la famine, en cherchant à peupler ce désert, je n’ai pas eu du moins le chagrin d’échouer dans mon entreprise.

— La famine ! s’écria Élisabeth ; je regardais ce pays comme une terre promise. Avez-vous réellement souffert de la famine ?

— Que trop, ma fille. Ceux qui voient aujourd’hui la terre se charger de riches moissons dans ces environs ont peine à se persuader que ceux qui s’établirent les premiers dans ce canton, il n’y a encore que bien peu d’années, n’avaient d’autre ressource pour pourvoir aux besoins de leurs familles que le peu de fruits qu’ils trouvaient dans les forêts, et le gibier que leurs mains peu exercées ne se procuraient pas sans peine.

— Oui, oui, cousine Bess, dit Richard, qui arriva pour entendre ces derniers mots ainsi que la fin de la chanson du bûcheron, c’était vraiment un temps de disette[1]. J’étais devenu maigre comme une belette, et pâle comme si j’avais eu la fièvre pendant six mois. Benjamin fut celui de nous qui eut le plus de peine à la supporter, et il jura cent fois qu’il aurait mieux aimé être réduit à demi-ration à bord d’un navire ; car Benjamin ne se fait pas tirer l’oreille pour jurer, quand il est obligé de jeûner. J’eus même un instant envie de vous quitter, cousin ’Duke, et d’aller m’engraisser en Pensylvanie. Mais du diable, dis-je ; nous sommes enfants des deux sœurs, et je veux vivre et mourir avec lui.

— Je n’ai pas oublié ton amitié, Dick, s’écria Marmaduke, ni que nous sommes du même sang.

— Mais, mon père, dit Élisabeth, où étaient donc les belles et fertiles vallées arrosées par le Mohawk ? Ne pouvaient-elles fournir à vos besoins ?

  1. L’auteur ne peut mieux s’excuser d’interrompre l’intérêt d’une fiction par ces dialogues passagers, qu’en disant qu’ils ont rapport aux faits. En relisant son livre, bien des années après l’avoir écrit, il est forcé d’avouer que cet ouvrage est chargé de trop d’allusions à des faits qui ne peuvent avoir beaucoup d’intérêt pour le lecteur en général. Il fait légèrement allusion à un de ces accidents dans le commencement de ce chapitre.
    Il y a plus de trente ans, une parente bien proche et bien chère de l’auteur, une sœur aînée et en même temps une seconde mère, fut tuée par une chute de cheval dans une promenade parmi les mêmes montagnes dont il est fait mention dans ce roman. Peu de personnes de son sexe et de son âge avaient une réputation plus étendue, et étaient plus universellement chéries que la femme admirable qui devint ainsi la victime des hasards du désert.