Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/268

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— Et que voit-on quand on est là ?

La création, toute la création. J’étais sur cette montagne, quand Vaughan brûla ’Sopus dans la dernière guerre, et j’ai vu les vaisseaux remonter la rivière aussi bien que je verrais ce canot flotter sur la Susquehanna, si j’étais sur le bord. La rivière coulait sous mes pieds jusqu’à soixante-dix milles. J’apercevais les rochers du Hampshire, en un mot tout ce que Dieu a fait, tout ce que l’homme avait pu faire, à perte de vue. Et vous savez que ma vue est bonne, monsieur Olivier, car ce n’est pas pour rien que les Indiens m’ont donné le nom d’Œil-de-Faucon. Du plateau de cette montagne, je voyais l’endroit où est aujourd’hui Albany. Et quant à ’Sopus, le jour où les troupes royales brûlèrent cette ville, la fumée me semblait si près de moi, que j’écoutais si je n’entendrais pas les cris des femmes.

— Une telle vue doit dédommager de la fatigue qu’on essuie pour en jouir.

— Si, pour votre satisfaction, il vous faut être à plus d’un mille en l’air, et avoir sous vos pieds des termes et des maisons qui sont comme des châteaux de cartes, des rivières qui ressemblent à des rubans, des montagnes plus hautes que celles de la Vision, qui n’ont l’air que de meules de foin, je puis vous recommander cet endroit. Quand je commençai à vivre dans les bois, j’avais quelquefois des retours de faiblesse, je n’ennuyais d’être seul ; alors j’allais sur le Cattskills, et je passais quelques jours sur cette montagne pour voir un peu les hommes. Mais il y a bien des années que je n’y ai été, et d’ailleurs je deviens trop vieux pour gravir des monts si escarpés. J’ai découvert, il n’y a pas bien longtemps, à deux milles de ces montagnes, un endroit que j’aime encore mieux, parce qu’il est plus couvert d’arbres, plus dans la nature.

— Et quel est cet endroit ?

— Il y a dans ces montagnes une chute d’eau occasionnée par le trop plein de deux petits étangs voisins l’un de l’autre : cette eau forme un ruisseau qui coule dans la vallée, et qui serait en état de faire tourner un moulin, si l’on avait besoin d’une chose si superflue dans un désert. Mais la main qui a fait cette chute d’eau n’a jamais fait un moulin. L’eau coule d’abord entre les rochers si lentement qu’une truite pourrait y nager ; ensuite elle court plus vite, comme un animal qui s’apprête à sauter ; enfin