Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/279

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que vous connaissez bien peu les embarras de cette vie ! Mon père a passé bien des années, comme missionnaire, dans les nouveaux établissements de ce pays ; ses ouailles étaient pauvres ; plus d’une fois nous avons manqué de pain ; nous n’avions pas le moyen d’en acheter, et nous n’osions en demander, de peur de déshonorer ses saintes fonctions. Combien de fois l’ai-je vu s’éloigner de sa famille souffrante, en proie à la faim et à la maladie, et qui perdait son unique consolation en le voyant partir ; et où allait-il… ? remplir des devoirs que ses malheurs domestiques ne pouvaient le déterminer à négliger. Oh ! combien il doit être difficile de chercher à consoler les autres quand on a le cœur abreuvé de l’amertume de tous les chagrins !

— Mais à présent, Louise, s’écria Élisabeth, ils sont passés ; ils ne reviendront plus. Les émoluments de votre père doivent être proportionnés aux besoins de sa famille. Il faut qu’ils le soient, ils le seront.

— Ils le sont, répondit Louise en baissant la tête sur son sein pour cacher ses larmes, car je suis tout ce qui lui reste d’une nombreuse famille, je suis le seul être aux besoins duquel il ait à pourvoir.

La tournure que la conversation avait prise avait banni de l’imagination des deux jeunes amies toute autre idée que celles qu’inspirent l’amitié, la bienveillance et la gratitude. Élisabeth serra tendrement contre son cœur sa compagne, qui ne pouvait retenir ses larmes, et ce ne fut qu’en pleurant avec elle qu’elle chercha à la consoler.

Quand ce moment d’émotion fut passé, elles continuèrent leur promenade en silence. Elles arrivèrent bientôt sur le plateau de la montagne ; elles s’étaient échauffées en la gravissant, et comme le soleil en montant sur l’horizon augmentait la chaleur du jour, elles quittèrent le chemin qu’elles avaient suivi, pour s’enfoncer plus avant dans la forêt, où des arbres majestueux formaient un dôme impénétrable aux rayons du soleil.

Les beautés de la nature sauvage formaient alors le sujet de leur entretien, quand tout à coup Élisabeth s’arrêta, et s’écria en tressaillant : — Écoutez ! n’entendez-vous pas les cris d’un enfant ? Y a-t-il quelques défrichements dans les environs ? serait-ce un enfant du village qui se serait égaré ?

— Cela arrive assez souvent, dit Louise : écoutons.