Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/382

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Mingo a fait entendre le chant de triomphe après l’avoir combattu ? Mohican a-t-il jamais menti ? Non, la vérité vivait en lui, et la vérité seule pouvait sortir de sa bouche. Dans sa jeunesse il était guerrier, et ses bras étaient teints de sang ; plus tard il parlait autour du feu du conseil, et ses discours n’étaient pas jetés aux vents.

— Que dit-il à présent ? demanda le bon ministre. Témoigne-t-il une crainte salutaire de sa situation ?

— Il sait tout aussi bien que vous qu’il est près de sa fin, répondit Natty, et il croit devoir s’en féliciter. Il est vieux, ses nerfs sont endurcis, et vous avez rendu le gibier si rare et si farouche, que de meilleurs chasseurs que lui ont peine à l’atteindre. Il pense qu’il va se trouver dans un pays où la chasse sera toujours bonne, où il n’y aura pas d’hommes blancs, où il retrouvera toute sa tribu. Ce n’est pas une grande perte pour un homme dont la main était à peine en état de faire un panier de branches de saule. S’il y a de la perte, c’est pour moi, car je sens qu’il me manquera.

— John, dit M. Grant, voici le moment où la pensée que vous pouvez avoir recours à la médiation du Sauveur doit jeter un baume sur les plaies de votre âme ; déposez à ses pieds le fardeau de vos fautes ; il vous a lui-même donné l’assurauee que vous ne l’implorerez pas en vain.

— Tout cela peut être vrai, dit Bas-de-Cuir, et vous avez pour vous l’Écriture et l’Évangile ; mais ce sont des paroles perdues. Il n’a pas vu les frères Moraves depuis la dernière guerre, et il est difficile d’empêcher un Indien de revenir à ses idées. Autant vaudrait le laisser mourir en paix. Il est heureux maintenant, je le vois dans ses yeux, et il ne l’a pas été depuis que les Delavvares sont partis vers l’occident. Ah ! nous avons passé ensemble plus d’un mauvais jour depuis ce temps.

— Œil-de-Faucon, dit Mohican, en qui une étincelle de vie sembla se ranimer en ce moment, écoutez les paroles de votre frère.

— Oui, John, répondit le vieux chasseur d’un ton affecté, nous avons vécu en vrais frères. Qu’avez-vous à me dire, Chingachgook ?

— Œil-de-Faucon, mes pères m’appellent dans un bois plein de gibier. J’en vois le chemin, car mes yeux se rajeunissent ; j’y aperçois de braves Indiens, et pas de Peaux-Blanches. Adieu, Œil--