Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/416

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voix ; des liens de quelques jours ne peuvent rompre des habitudes de quarante ans. Eh bien ! Natty, puisque vous voulez vous éloigner de Templeton, du moins n’allez pas aussi loin que vous vous le proposez ; laissez-moi vous faire construire une hutte à l’endroit que vous choisirez, à vingt ou trente milles d’ici, afin que nous puissions vous voir de temps en temps, avoir de vos nouvelles, être certain qu’il ne vous manquera rien.

— Ne craignez rien pour moi, monsieur Olivier ; Dieu pourvoira à mes besoins. Je vous dis que vos intentions sont bonnes, mais nos voies ne sont pas les mêmes. La vue des hommes vous fait plaisir ; moi, je n’aime que la solitude. Je mange quand j’ai faim, je bois quand j’ai soif ; et vous, il faut qu’une cloche vous en donne le signal. Vous engraissez jusqu’à vos chiens par trop de bonté, tandis qu’il faut qu’ils soient un peu maigres pour bien chasser. Dieu n’a pas fait pour rien la dernière de ses créatures, et il m’a fait pour le désert. Si vous avez de l’amitié pour moi, laissez-moi donc vivre de la manière qui peut seule m’être agréable.

Il eût été difficile d’insister davantage. Élisabeth se détourna pour pleurer, et Effingham, tirant son portefeuille de sa poche, y prit tous les billets de banque qui s’y trouvaient, et les présenta au vieux chasseur.

— Prenez du moins cela, lui dit-il, vous pouvez en avoir besoin quelque jour.

Natty examina les billets de banque avec un air de curiosité, mais sans y toucher.

— C’est sans doute là, dit-il, de cette monnaie qu’on fait avec du papier ? Je n’en avais jamais vu. Et que voulez-vous que j’en fasse ? Cela n’est bon que pour des savants. Je ne pourrais même m’en servir pour bourrer mon fusil, vu que je ne me sers jamais que de cuir. Non, non, gardez cela ; je ne puis manquer de rien, puisque, avant le départ du Français, vous m’avez fait présent de tout ce qui restait de bonne poudre dans sa boutique ; et l’on dit qu’on trouve du plomb dans le pays où je vais. Madame Effingham, permettez à un vieillard de baiser votre main, et que toutes les bénédictions du ciel soient votre partage.

— Je vous en supplie encore une fois, Bas-de-Cuir, s’écria Élisabeth, ne nous quittez pas ! Ne me laissez pas dans une si cruelle inquiétude pour l’homme qui m’a deux fois sauvé la vie. Des rêves