Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/193

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la lisse du vent comme tous ceux qui n’avaient rien à faire à bord en ce moment, pour examiner l’objet dont ils approchaient si rapidement. Tandis que la Caroline avançait hardiment, semblant chasser la brise devant elle, les soupirs du vent, qui murmurait parmi les agrès du négrier, étaient le seul bruit qu’on entendît sur ce navire. Pas une figure humaine, pas un œil curieux, ne se faisaient apercevoir sur son bord. Le passage, comme on peut le croire, fut rapide, et pendant le court instant où les proues et les poupes des deux bâtimens se trouvaient presque en ligne parallèle, Wilder pensa qu’il s’effectuerait sans que le prétendu négrier y donnât la plus légère marque d’attention. Il se trompait pourtant. Un homme léger et actif, portant le petit uniforme d’officier de marine, s’élança sur le couronnement de la poupe, et agita en l’air un bonnet de marin, comme pour saluer. À l’instant où le vent fit flotter la chevelure de cet individu, Wilder reconnut l’œil vif et perçant et les traits du Corsaire.

— Croyez-vous que le vent se maintienne de ce côté, monsieur ? dit celui-ci en parlant très haut.

— Il est assez vif pour être constant.

— Un marin prudent se hâterait d’avancer vers l’est autant qu’il en aurait besoin, car il me semble qu’il sent un peu les Indes occidentales.

— Vous croyez qu’il tournera plus au sud ?

— Je le crois. Mais une bouline tendue pendant la nuit vous suffira.

La Caroline était déjà passée, et elle lofait alors en face de la proue du négrier pour reprendre sa route. Le marin qui était sur le couronnement de la poupe de ce dernier navire agita encore son bonnet en signe d’adieu, et disparut.

— Est-il possible qu’un tel homme fasse un trafic d’êtres humains ! s’écria Gertrude quand les deux interlocuteurs eurent cessé de parler.

Ne recevant pas de réponse, elle se retourna avec vivacité pour regarder sa compagne. La gouvernante était plongée dans une sorte d’abstraction, ses yeux fixés sur le vide, car ils n’avaient pas changé de direction depuis que la marche du navire l’avait emmenée au-delà de l’endroit où se trouvait cet étranger. Gertrude lui ayant pris la main en lui répétant sa question, Mrs Wyllys revint à elle, et passant la main sur son front, elle lui répondit d’un air égaré et avec un sourire forcé :