Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/192

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long-temps désiré qu’il recevait, et se relevait avec grâce après une inclination profonde. On entendit siffler la brise à travers le labyrinthe des agrès, musique toujours agréable à l’oreille du marin. Ce son encourageant et la fraîcheur particulière de l’air armèrent les matelots d’une nouvelle énergie pour exécuter leurs manœuvres. L’ancre était à poste, le navire avait fait son abatée, les hautes voiles étaient déployées, les basses voiles étaient tombées, et la proue de la Caroline faisait écumer les vagues en les fendant, avant que dix autres minutes se fussent écoulées.

Wilder avait pris sur lui la tâche de faire passer son bâtiment entre les îles de Connecticut et de Rhode. Heureusement pour la responsabilité dont il s’était chargé, le canal n’était pas difficile, et le vent avait tourné du côté de l’est, de manière à lui fournir une occasion favorable pour le traverser en ligne droite, après avoir couru une courte bordée au vent ; mais il ne pouvait courir cette bordée sans être dans la nécessité de passer très près du Corsaire, où il aurait perdu une grande partie de cet avantage. Il n’hésita pas un instant. Quand son bâtiment fut aussi près du rivage sous le vent que la sonde, toujours en activité, lui dit qu’il était prudent d’en approcher, il le fit virer de bord et en tourna la proue directement vers le négrier, toujours immobile, et en apparence inattentif à tout ce qui se passait.

La Caroline s’en approcha beaucoup plus heureusement que la première fois ; le vent était bon et l’équipage était maître de son navire, comme un cavalier habile gouverne tous les mouvemens d’un coursier plein de feu et d’impétuosité. Cependant cette manœuvre ne s’exécuta point sans exciter un vif intérêt dans le cœur de tous ceux qui se trouvaient à bord du bâtiment marchand de Bristol ; chaque individu avait sa cause secrète de curiosité. Le vaisseau dont on s’approchait commençait à être un sujet d’étonnement pour tous les marins ; la gouvernante et sa pupille pouvaient à peine se rendre compte de la cause de leur émotion, et Wilder ne connaissait que trop la nature du danger auquel tous, excepté lui, étaient exposés. De même que la première fois, le marin qui était au gouvernail allait satisfaire son orgueil naval en passant du côté du vent ; mais, quoique cette manœuvre eût pu se faire alors sans beaucoup de risques, il reçut ordre de gouverner différemment.

— Passez sous le vent du négrier, monsieur, lui dit Wilder d’un ton d’autorité ; et alors le jeune capitaine alla s’appuyer sur