Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/360

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— Et les sept cent cinquante tonneaux du nègre ?… C’était émettre une opinion avec une grande confiance.

C’est le propre de l’ignorance de trancher sur tout.

— Vous avez raison. Regardez un peu ce vaisseau, et dites-moi quelle est sa marche.

Wilder obéit, charmé en apparence d’être délivré d’une conversation qu’il pouvait trouver embarrassante. Il resta quelques momens à examiner à travers la lunette, et pendant ce temps son compagnon ne laissa pas échapper une syllabe. Cependant, lorsque Wilder se retourna pour lui rendre compte du résultat de ses observations, il rencontra ses regards, qui, fixés sur lui, semblaient pénétrer jusqu’au fond de son âme. Piqué de la défiance que cette conduite annonçait, son visage se couvrit d’une vive rougeur, et fermant ses lèvres à moitié ouvertes, il continua à garder le silence.

— Et le vaisseau ? demanda le Corsaire avec une intention marquée.

— Le vaisseau a déjà augmenté de voiles ; dans quelques minutes nous verrons la carène.

— C’est un fin voilier ; il se dirige droit vers nous.

— Je ne pense pas ; sa poupe est tournée plus à l’est.

— Il est bon de s’assurer du fait. — Vous avez raison, continuât-il après avoir examiné lui-même le bâtiment ; vous avez bien raison. Jusqu’à présent on ne nous voit pas. — Holà ! carguez cette voile d’étai de l’avant ; nous soutiendrons le vaisseau avec ses vergues. Maintenant, qu’ils nous regardent de tous leurs yeux, il faut en avoir de bons pour apercevoir ces espars dégarnis à une pareille distance.

Notre aventurier ne fit pas de réponse, et se contenta d’une simple inclination de tête pour reconnaître la vérité de ce qu’avait dit son compagnon. Ils reprirent ensuite leur promenade en long et en large dans leurs étroites limites, sans montrer cependant d’empressement de renouer la conversation.

— Nous sommes tout prêts pour la fuite comme pour le combat, dit enfin le Corsaire en jetant un regard rapide sur les préparatifs qu’on avait faits secrètement depuis le moment où les officiers s’étaient dispersés. Je vous l’avouerai, Wilder, j’éprouve un plaisir secret à penser que cet audacieux navire est au service de l’Allemand qui porte la couronne de la Grande-Bretagne. S’il est trop fort pour qu’on puisse oser l’attaquer, j’aurai du moins le