Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas qu’il est quelqu’un à qui vos prières peuvent êtres aussi utiles ! Mais c’est assez. Maintenant, ajouta-t-il en regardant autour de lui d’un air qui annonçait qu’il était déterminé à triompher de la lutte qui se livrait dans son cœur, quelque effort qu’il dût lui en coûter, et, en jetant un coup d’œil de regret sur ces ponts déserts qui, si récemment encore, étaient bruyans et animés, maintenant, oui, maintenant, il faut nous séparer ! La barque nous attend.

Wilder eut bientôt conduit sa mère et Gertrude dans la pinasse ; mais il restait encore sur le tillac.

— Et vous, dit-il au Corsaire, que deviendrez-vous ?

— Je serai bientôt… oublié. — Adieu !

Le Corsaire lui fit signe de s’éloigner, et le jeune homme, après lui avoir serré la main, monta sur la barque. Lorsque Wilder se retrouva sur son vaisseau, dont la mort de Bignall lui avait laissé le commandement, il donna aussitôt l’ordre de déployer les voiles, et de gouverner vers le port le plus voisin de son pays. Tant qu’il fut possible de distinguer les mouvemens de l’homme qui restait sur le tillac du Dauphin, aucun regard ne put se détacher du vaisseau qui était toujours immobile à la même place, comme s’il y eût été mis par quelque fée comme un modèle parfait de construction. Une forme humaine marchait légèrement sur la poupe, et auprès d’elle on en voyait une autre qui semblait comme l’ombre en raccourci de la première. À la fin la distance absorba ces images indistinctes, et l’œil chercha en vain à apercevoir ce qui se passait dans l’intérieur du vaisseau.

Mais les doutes furent bientôt éclaircis ; un trait de flamme partit tout à coup du tillac, s’élançant fièrement de voile en voile. Un épais nuage de fumée sortit des flancs du vaisseau, puis le bruit terrible de l’artillerie se fit entendre. Alors succéda le spectacle terrible, et pourtant attrayant, d’un vaisseau qui brûle en pleine mer. Tout fut terminé par un immense dais de fumée qui s’éleva majestueusement vers le ciel, et par une explosion qui, malgré l’éloignement, fit trembler les voiles du Dard, comme si les vents alizés abandonnaient leur direction éternelle. Lorsque le nuage eut quitté l’Océan, on ne vit au-dessous qu’un espace vide, et personne n’aurait pu reconnaître la place où cette merveille de l’art avait flotté si récemment. Quelques matelots grimpés au haut des mâts, et à l’aide de lunettes, crurent bien distinguer une espèce de tache sur la mer ; mais était-ce une chaloupe, ou quelques débris du vaisseau, c’est ce qu’on ne sut jamais.