Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/57

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titude et une décision qui annonçait son désir qu’il ne fût jamais plus question de frayeur.

— Si tous les dangers que vous paraissez craindre existaient réellement, le passage ne se ferait pas tous les jours, et même à toute heure sans le moindre accident. Vous êtes sans doute, madame, venue souvent par la mer de la Caroline avec l’amiral de Lacey ?

— Jamais, répliqua la veuve promptement et même d’un ton un peu sec. La mer ne convenait pas à ma santé, et je n’ai jamais manqué de voyager par terre. Mais cependant vous sentez, Wyllys, que, comme épouse et veuve d’un chef d’escadre, il ne serait pas convenable que je fusse tout-à-fait étrangère à la science nautique. Je pense qu’il y a peu de femmes dans tout l’empire britannique qui connaissent mieux que moi les vaisseaux, soit isolés, soit réunis en escadre, surtout ces derniers. C’est une connaissance que j’ai naturellement acquise comme femme d’un officier que son devoir appelait à commander des flottes. Je présume que ce sont des choses qui vous sont totalement étrangères.

La physionomie noble et pleine de dignité de Mrs Wyllys, sur laquelle on eût dit que des souvenirs anciens et pénibles avaient laissé une expression douce, mais durable, de tristesse, qui tempérait, sans les effacer, les traces de fermeté et de courage qu’on retrouvait encore dans son regard ferme et assuré, se couvrit un instant d’une teinte plus prononcée de mélancolie. Après avoir hésité, comme si elle eût désiré changer de conversation, elle répondit :

— La mer n’est pas pour moi un élément tout à fait étranger. J’ai fait dans ma vie beaucoup de longues, et quelquefois même de périlleuses traversées.

— Comme simple passagère. Mais nous autres femmes de marins, nous sommes les seules de notre sexe qui puissions nous vanter de connaître véritablement cette noble profession ! Qu’y a-t-il, ou que peut-il y avoir de plus beau, s’écria la douairière dans un mouvement d’enthousiasme naval, qu’un superbe vaisseau fendant la lame furieuse, comme j’ai entendu l’amiral le dire mille fois, son éperon labourant l’onde, et son taille-mer glissant à la suite, comme un serpent sinueux qui s’allonge sur ses propres replis. Je ne sais, ma chère Wyllys, si je me fais comprendre ; mais pour moi, à qui ces effets sont familiers, cette descrip-