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192 LE CID.

Non qu’une folle ardeur de son côté me penche ;
Mais, s’il était vaincu, je serais à don Sanche :
Cette appréhension fait naître mon souhait.
Que vois-je, malheureuse ? Elvire, c’en est fait.


Scène V.

DON SANCHE, CHIMÈNE, ELVIRE.
Don Sanche.

Obligé d’apporter à vos pieds cette épée[1]

Chimène.

Quoi ? du sang de Rodrigue encor toute trempée ?
Perfide, oses-tu bien te montrer à mes yeux,
Après m’avoir ôté ce que j’aimais le mieux ?
ApÉclate, mon amour, tu n’as plus rien à craindre :
Mon père est satisfait, cesse de te contraindre.
Un même coup a mis ma gloire en sûreté,
Mon âme au désespoir, ma flamme en liberté.

Don Sanche.

D’un esprit plus rassis…

Chimène.

D’un esprit plus rassis… Tu me parles encore,
Exécrable assassin d’un héros que j’adore[2] ?
Va, tu l’as pris en traître ; un guerrier si vaillant
N’eût jamais succombé sous un tel assaillant[3].

  1. Var. Madame, à vos genoux j’apporte cette épée. (1637-56)
  2. Cette scène semble avoir fourni à Racine l’idée de l’admirable dialogue d’Oreste et d’Hermione dans Andromaque (acte V, scène III).
  3. Var. [N’eût jamais succombé sous un tel assaillant.]
    elv. Mais, Madame, écoutez. chim. Que veux-tu que j’écoute ?
    Après ce que je vois puis-je être encore en doute ?
    J’obtiens pour mon malheur ce que j’ai demandé.
    Et ma juste poursuite a trop bien succédé.
    Pardonne, cher amant, à sa rigueur sanglante ;