Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/299

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Lorsque vous conserviez un esprit tout romain,
Le sien irrésolu, le sien tout incertain[1],
De la moindre mêlée appréhendoit l’orage,
De tous les deux partis détestoit l’avantage,
Au malheur des vaincus donnoit toujours ses pleurs,
Et nourrissoit ainsi d’éternelles douleurs.
Mais hier, quand elle sut qu’on avoit pris journée,
Et qu’enfin la bataille alloit être donnée,
Une soudaine joie éclatant sur son front…[2]

SABINE.

Ah ! Que je crains, Julie, un changement si prompt !
Hier dans sa belle humeur elle entretint Valère ;
Pour ce rival, sans doute, elle quitte mon frère ;
Son esprit, ébranlé par les objets présents,
Ne trouve point d’absent aimable après deux ans.
Mais excusez l’ardeur d’une amour fraternelle ;
Le soin que j’ai de lui me fait craindre tout d’elle ;
Je forme des soupçons d’un trop léger sujet[3] :
Près d’un jour si funeste on change peu d’objet ;
Les âmes rarement sont de nouveau blessées,
Et dans un si grand trouble on a d’autres pensées ;
Mais on n’a pas aussi de si doux entretiens,
Ni de contentements qui soient pareils aux siens.

JULIE.

Les causes, comme à vous, m’en semblent fort obscures ;
Je ne me satisfais d’aucunes conjectures.
C’est assez de constance en un si grand danger

  1. Var. Le sien irrésolu, tremblotant, incertain. (1641-56)
  2. Var. Une soudaine joie éclata sur son front. (1641-56)
  3. Var. Je forme des soupçons d’un sujet trop léger :
    Var. ---Le jour d’une bataille est mal propre à changer ;
    Var. ---D’un nouveau trait alors peu d’âmes sont blessées,
    Var. ---[Et dans un si grand trouble on a d’autres pensées ;]
    Var. ---Mais on n’a pas aussi de si gais entretiens. (1641-56)