Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/300

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Que de le voir, l’attendre, et ne point s’affliger ;
Mais certes c’en est trop d’aller jusqu’à la joie.

SABINE.

Voyez qu’un bon génie à propos nous l’envoie.
Essayez sur ce point à la faire parler :
Elle vous aime assez pour ne vous rien celer.
Je vous laisse. Ma sœur, entretenez Julie :
J’ai honte de montrer tant de mélancolie,
Et mon cœur, accablé de mille déplaisirs,
Cherche la solitude à cacher ses soupirs.


Scène II.

CAMILLE, JULIE.
CAMILLE.

Qu’elle a tort de vouloir que je vous entretienne[1] !
Croit-elle ma douleur moins vive que la sienne,
Et que plus insensible à de si grands malheurs,
À mes tristes discours je mêle moins de pleurs ?
De pareilles frayeurs mon âme est alarmée ;
Comme elle[2] je perdrai dans l’une et l’autre armée :
Je verrai mon amant, mon plus unique bien,
Mourir pour son pays, ou détruire le mien,
Et cet objet d’amour devenir, pour ma peine,
Digne de mes soupirs, ou digne de ma haine[3].
Hélas !

JULIE.

Hélas !Elle est pourtant plus à plaindre que vous :
On peut changer d’amant, mais non changer d’époux.

  1. Var. Pourquoi fuir, et vouloir que je vous entretienne ? (1641-56)
  2. Dans l’édition de 1641 in-12, on a imprimé par erreur contre elle, pour comme elle.
  3. Var. Ou digne de mes pleurs, ou digne de ma haine. (1641-56)