Puis-je d’un tel chagrin savoir quel est l’objet[1] ?
Émilie et César, l’un et l’autre me gêne :
L’un me semble trop bon, l’autre trop inhumaine.
Plût aux Dieux que César employât mieux ses soins[2],
Et s’en fît plus aimer, ou m’aimât un peu moins ;
Que sa bonté touchât la beauté qui me charme,
Et la pût adoucir comme elle me désarme !
Je sens au fond du cœur mille remords cuisants[3],
Qui rendent à mes yeux tous ses bienfaits présents ;
Cette faveur si pleine, et si mal reconnue,
Par un mortel reproche à tous moments me tue.
Il me semble surtout incessamment le voir
Déposer en nos mains son absolu pouvoir,
Écouter nos avis, m’applaudir et me dire :
« Cinna, par vos conseils, je retiendrai l’empire,
Mais je le retiendrai pour vous en faire part. »
Et je puis dans son sein enfoncer un poignard !
Ah ! plutôt… Mais, hélas ! j’idolâtre Émilie ;
Un serment exécrable à sa haine me lie ;
L’horreur qu’elle a de lui me le rend odieux :
Des deux côtés j’offense et ma gloire et les Dieux ;
Je deviens sacrilège, ou je suis parricide,
Et vers l’un ou vers l’autre il faut être perfide.
Vous n’aviez point tantôt ces agitations ;
Vous paroissiez plus ferme en vos intentions ;
Vous ne sentiez au cœur ni remords ni reproche.