Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/439

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ÉMILIE.

Je fais gloire, pour moi, de cette ignominie :
La perfidie est noble envers la tyrannie ;
Et quand on rompt le cours d’un sort si malheureux975[1],
Les cœurs les plus ingrats sont les plus généreux.

CINNA.

Vous faites des vertus au gré de votre haine.

ÉMILIE.

Je me fais des vertus dignes d’une Romaine.

cinna

Un cœur vraiment romain…

ÉMILIE.

Un cœur vraiment romain… Ose tout pour ravir
Une odieuse vie à qui le fait servir[2] : 980
Il fuit plus que la mort la honte d’être esclave.

CINNA.

C’est l’être avec honneur que de l’être d’Octave ;
Et nous voyons souvent des rois à nos genoux
Demander pour appui tels esclaves que nous[3].
Il abaisse à nos pieds l’orgueil des diadèmes, 985
Il nous fait souverains sur leurs grandeurs suprêmes ;
Il prend d’eux les tributs dont il nous enrichit,
Et leur impose un joug dont il nous affranchit.

ÉMILIE.

L’indigne ambition que ton cœur se propose !
Pour être plus qu’un roi, tu te crois quelque chose ! 990
Aux deux bouts de la terre en est-il un si vain[4]
Qu’il prétende égaler un citoyen romain ?
Antoine sur sa tête attira notre haine

  1. Var. Et quand il faut répondre un sang si malheureux. (1643-56)
  2. Var. Et le sang et la vie à qui le fait servir. (1643-56)
  3. Var. Implorer la faveur d’esclaves tels que nous. (1643-56)
  4. Var. Aux bouts de la terre en est-il d’assez vain
    Pour prétendre égaler un citoyen romain ? (1643-56)