Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/440

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En se déshonorant par l’amour d’une reine ;
Attale, ce grand roi, dans la pourpre blanchi,995
Qui du peuple romain se nommoit l’affranchi,
Quand de toute l’Asie il se fût vu l’arbitre,
Eût encor moins prisé son trône que ce titre.
Souviens-toi de ton nom, soutiens sa dignité ;
Et prenant d’un Romain la générosité,1000
Sache qu’il n’en est point que le ciel n’ait fait naître
Pour commander aux rois, et pour vivre sans maître.

CINNA.

Le ciel a trop fait voir en de tels attentats
Qu’il hait les assassins et punit les ingrats ;
Et quoi qu’on entreprenne, et quoi qu’on exécute,1005
Quand il élève un trône, il en venge la chute ;
Il se met du parti de ceux qu’il fait régner ;
Le coup dont on les tue est longtemps à saigner ;
Et quand à les punir il a pu se résoudre,
De pareils châtiments n’appartiennent qu’au foudre. 1010

ÉMILIE.

Dis que de leur parti toi-même tu te rends,
De te remettre au foudre à punir les tyrans.
Je ne t’en parle plus, va, sers la tyrannie ;
Abandonne ton âme à son lâche génie ;
Et pour rendre le calme à ton esprit flottant,1015
Oublie et ta naissance et le prix qui t’attend.
Sans emprunter ta main pour servir ma colère[1],
Je saurai bien venger mon pays et mon père.
J’aurois déjà l’honneur d’un si fameux trépas,
Si l’amour jusqu’ici n’eût arrêté mon bras :1020
C’est lui qui sous tes lois me tenant asservie,
M’a fait en ta faveur prendre soin de ma vie.

  1. Var. Je saurai bien sans toi, dans ma noble colère,
    Venger les fers de Rome et le sang de mon père. (1643-56)