Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/447

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Combien celle de Sexte[1], et revois tout d’un temps1135
Pérouse au sien noyée, et tous ses habitants[2] ;
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur enfonças le couteau[3] : 1140
Et puis ose accuser le destin d’injustice[4],
Quand tu vois que les tiens s’arment pour ton supplice,
Et que par ton exemple à ta perte guidés,
Ils violent des droits que tu n’as pas gardés[5] !
Leur trahison est juste, et le ciel l’autorise : 1145
Quitte ta dignité comme tu l’as acquise ;
Rends un sang infidèle à l’infidélité[6],
Et souffre des ingrats après l’avoir été.
Mais que mon jugement au besoin m’abandonne !
Quelle fureur, Cinna, m’accuse et te pardonne ? 1150
Toi, dont la trahison me force à retenir
Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,
Me traite en criminel, et fait seule mon crime,
Relève pour l’abattre un trône illégitime,
Et, d’un zèle effronté couvrant son attentat, 1155
S’oppose, pour me perdre, au bonheur de l’État !
Donc jusqu’à l’oublier je pourrois me contraindre !

  1. Sextus Pompée.
  2. Dans la guerre entre Octave et les adhérents d’Antoine, après la bataille de Philippes.
  3. Voyez p. 384, note 2.
  4. Var. Et puis ose accuser ton destin d’injustice,
    Si les tiens maintenant s’arment pour ton supplice,
    Et si par ton exemple à ta perte guidés. (1643-56)
  5. Var. Ils violent les droits que tu n’as pas gardés ! (1643-64)
  6. Ce vers rappelle, mais par les mots et le son plutôt que par la pensée, la fin de la première strophe des Larmes de saint Pierre de Malherbe :
    Fait de tous les assauts que la rage peut faire
    Une fidèle preuve à l’infidélité.
    (Voyez le Malherbe de M. Lalanne, tome I, p. 4.)