Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/448

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tu vivrois en repos après m’avoir fait craindre[1] !
Non, non, je me trahis moi-même d’y penser :
Qui pardonne aisément invite à l’offenser ; 1160
Punissons l’assassin, proscrivons les complices.
Mais quoi ! toujours du sang, et toujours des supplices[2] !
Ma cruauté se lasse et ne peut s’arrêter ;
Je veux me faire craindre et ne fais qu’irriter.
Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile[3] : 1165
Une tête coupée en fait renaître mille,
Et le sang répandu de mille conjurés
Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
Octave, n’attends plus le coup d’un nouveau Brute ;
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute ; 1170
Meurs : tu ferois pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,
Et si tout ce que Rome a d’illustre jeunesse
Pour te faire périr tour à tour s’intéresse[4]
Meurs, puisque c’est un mal que tu ne peux guérir ; 1175
Meurs enfin, puisqu’il faut ou tout perdre, ou mourir.
La vie est peu de chose, et le peu qui t’en reste
Ne vaut pas l’acheter par un prix si funeste[5].
Meurs, mais quitte du moins la vie avec éclat ;
Éteins-en le flambeau dans le sang de l’ingrat[6] ; 1180
À toi-même en mourant immole ce perfide ;
Contentant ses désirs, punis son parricide ;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,

  1. Voyez ci-dessus, p. 373 : Quid ergo ! ego percussorem meum securum ambulare patiar, me sollicito ?
  2. Quis finis erit suppliciorum ? quis sanguinis ? (P. 374.)
  3. Var. Rome a pour ma ruine un hydre trop fertile. (1652-56)
  4. Ego sum nobilibus adolescentulis expositum caput, in quod mucrones acuant. (P. 374.)
  5. Non est tanti vita, si, ut ego non peream, tam multa perdenda sunt. (Ibidem.)
  6. Var. Éteins-en le flambeau dans le sang d’un ingrat. (1643-60)