Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/467

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Et je vous viens, Seigneur, offrir une victime,
Non pour sauver sa vie en me chargeant du crime :
Son trépas est trop juste après son attentat,
Et toute excuse est vaine en un crime d’État :
Mourir en sa présence, et rejoindre mon père, 1585
C’est tout ce qui m’amène, et tout ce que j’espère.

AUGUSTE.

Jusques à quand, ô ciel, et par quelle raison
Prendrez-vous contre moi des traits dans ma maison ?
Pour ses débordements j’en ai chassé Julie ;
Mon amour en sa place a fait choix d’Émilie, 1590
Et je la vois comme elle indigne de ce rang.
L’une m’ôtoit l’honneur, l’autre a soif de mon sang ;
Et prenant toutes deux leur passion pour guide,
L’une fut impudique et l’autre est parricide.
Ô ma fille ! est-ce là le prix de mes bienfaits ? 1595

ÉMILIE.

Ceux de mon père en vous firent mêmes effets[1].

AUGUSTE.

Songe avec quel amour j’élevai ta jeunesse.

ÉMILIE.

Il éleva la vôtre avec même tendresse ;
Il fut votre tuteur, et vous son assassin :
Et vous m’avez au crime enseigné le chemin : 1600
Le mien d’avec le vôtre en ce point seul diffère,
Que votre ambition s’est immolé mon père,
Et qu’un juste courroux dont je me sens brûler,
À son sang innocent vouloit vous immoler.

LIVIE.

C’en est trop, Émilie arrête, et considère1605
Qu’il t’a trop bien payé les bienfaits de ton père :
Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur,

  1. Var. Mon père l’eut pareil de ceux qu’il vous a faits. (1643-56)