Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/72

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s’étoit acquis le bonhomme Hardy, et que les pièces qui furent de son temps ne valoient pas la peine d’être écoutées. Car la Silvie et la Chriséide, par exemple, étoient les saillies d’un jeune écolier qui craignoit encore le fouet[1] ; et le Ligdamon[2] partoit d’une plume qui n’avoit jamais été tranchée qu’à coups d’épée. J’eusse dit que la Galerie du Palais n’étoit pas bonne, parce que le nom en étoit trop commun ; que la Place Royale n’étoit pas meilleure, puisqu’il en avoit dérobé le titre à ce très-fameux et très-célèbre auteur, Monseigneur Claveret[3]: et que la Suivante étoit une pièce qu’on ne pouvoit goûter, parce que l’on n’en avoit jamais vu une qui fût faite avec de si grandes régularités. Mais aussi n’eussé-je pas oublié les éloges de tous les poëmes qui furent représentés dedans les mêmes temps. Et surtout j’eusse fait une apologie pour la pauvre Silvanire, dont les exemplaires ne périront jamais. J’eusse loué le Duc d’Ossonne, et eusse dit que l’esprit de l’auteur y est miraculeux, puisque toute la pièce (qui est assez longue) n’a pourtant rien de plus achevé que ce qu’on voit dans un premier acte, et qu’il a voulu par le même poëme bannir les honnêtes femmes de la comédie, qui n’ont pu jamais souffrir les paroles ni les actions de ses deux héroïnes. Mais après aussi j’eusse examiné sa Virginie, et ayant laissé à Ragueneau le soin de faire une satire contre le coup fourré qui a fait rire tout le monde, j’eusse admiré la force d’esprit de son héros, qui méprise une princesse qui l’aime, et fait même le semblant de ne la pas entendre quand elle se déclare à lui : et le tout à cause qu’il aime sa sœur. Mais je n’aurois garde d’enfoncer sur leur amour, de peur d’y faire voir ou de l’inceste, ou de

  1. Mairet a parlé fort modestement de ses premières pièces dans l’Épître qu’il a placée en tête des Galanteries du duc d’Ossonne : « Je composai, dit-il, ma Criséide à seize ans, au sortir de philosophie, et c’est de celle-là, et de Silvie qui la suivit un an après, que je dirois volontiers à tout le monde : Delicta juventutis meæ ne reminiscaris (Psaume xxiv, verset 7). Je fis la Silvanire à vingt et un, le Duc d’Osonne à vingt-trois, Virginie à vingt-quatre, Sophonisbe à vingt-cinq. » Il cite immédiatement après Corneille avec éloge. Voyez tome I, p. 129.
  2. Pièce de Scudéry.
  3. Voyez tome II, p. 218.