Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/77

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bonne grâce à se donner l’estrapade[1], pour mettre M. Corneille au-dessous de lui, et à reprocher aux Normands que pour être accoutumés au cidre, ils s’enivrent facilement lorsqu’ils boivent du vin[2]. Il sait le contraire par expérience, après en avoir versé plusieurs fois à M. Corneille[3] : ce qu’il ne peut pas nier, non plus que ç’a été l’envie qui lui a mis la main à la plume, puisqu’il avoue que l’auteur du Cid en l’attaquant avoit perdu sa réputation, comme les mouches qui perdent leur aiguillon en piquant. Confesse-t-il pas que la seule gloire de M. Corneille a fait prendre l’essor à sa plume ? Que je le tiendrois heureux si ce noble aiguillon lui étoit demeuré, et s’il s’étoit enrichi d’une si belle dépouille ! Il doit remercier celui qui l’a mis au nombre des poëtes, quoiqu’il l’aye mis au dernier rang : c’est plus qu’il ne devoit prétendre raisonnablement. Je ne touche point son extraction, et je ne tiens pas qu’un honnête homme doive offenser toute une famille pour la querelle d’un particulier. Il est ici question seulement du mérite d’un poëme, et vous avez fort mauvaise grâce à quitter votre sujet pour dire des injures, et des reproches que l’on vous peut faire sans injustice. Puisque vous avez parlé de vos pièces de théâtre, souffrez que je me serve de la même liberté dont vous avez usé avec M. Corneille ; et quoiqu’elle vous soit autant injurieuse, trouvez bon que je vous détrompe et que je vous dise vos vérités. Vous ne devez pas faire d’excuses qu’à vous-même, d’avoir osé mettre en parallèle votre apprentissage avec le Cid. La différence y est si grande que qui n’y en mettroit pas s’accuseroit d’ignorance, et vous ne le pouvez sans être présomptueux. Mais s’il est du Parnasse comme du paradis, où l’on ne peut avoir d’entrée avec du bien mal acquis, tombez daccord avec tout le monde que vous en êtes exclus[4], si vous ne restituez la plus grande partie de votre ré-

  1. « On dit figurément : donner l’estrapade à son esprit, quand on lui fait faire une violente application pour inventer quelque chose difficile à trouver. » (Dictionnaire universel de Furetière.)
  2. « Ceux de votre pays, pour être accoutumés à ne boire que du cidre, s’enivrent facilement lorsqu’ils boivent du vin. » (Lettre du sieur Claveret à M. de Corneille, p. 3.)
  3. Voyez ci-dessus, p. 54, note i.
  4. « S’il est du Parnasse comme du paradis, où l’on ne peut espérer d’entrée avec des biens mal acquis, tombez d’accord avec moi