Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/79

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aux autres, et qui a déjà pensé causer votre ruine entière. Ne trouvez pas mauvais la franchise de mon discours ; je ne suis pas moins votre serviteur si je vous dis vos vérités. Amicus Plato, amicus Socrates, sed magis amica veritas.


V. avertissement au besançonnois mairet[1].


Il n’étoit nullement besoin de vous donner la gêne deux mois durant à fagoter une malheureuse lettre, pour nous apprendre que vous êtes aussi savant en injures que votre ami Claveret et tous les crocheteurs de Paris, Cette belle poésie que vous nous aviez envoyée du Mans ne nous permettoit pas d’en douter ; et bien que vous y fissiez parler un auteur espagnol, dont vous ne saviez pas le nom, la foiblesse de votre style vous découvroit assez. Ainsi vous aviez beau vous cacher sous ce méchant masque, on ne laissoit pas de vous connoître, et le rondeau qui vous répondit parloit de vous sans se contredire. Que si l’épithète de Fou solennel vous y déplaît, vous pouvez la changer, et mettre en sa place Innocent le Bel, qui est le nom de guerre que vous ont donné les comiques. Défaites-vous cependant de la pensée que M. Corneille vous ait fait l’honneur d’écrire contre vos ouvrages : s’il daignoit les entreprendre, il y montreroit bien d’autres défauts que n’a fait celui qui s’en est raillé en passant ; et certes en ce cas il prendroit une peine bien superflue, puisque pour les trouver mauvais, il ne faut que se donner la patience de les lire. C’est un emploi trop indigne de lui pour s’y arrêter, et tous les vains efforts de vos calomnies ne le sauroient réduire à cette honteuse nécessité d’abaisser votre réputation pour soutenir la sienne. Un homme qui écrit doit être en bien mauvaise posture quand il est forcé d’en venir là. Nemo, dit Heinsius, dont l’observateur fait son évangéliste, de aliena reprehensione laudem quærit, nisi qui de propria desperat[2].

  1. Attribué à Corneille par les frères Parfait, qui considèrent à tort cet Avertissement comme une réponse à l’Apologie pour M. Mairet (Histoire du Théâtre françois, tome V, p. 270). Voyez ci-dessus, p. 41.
  2. « Personne ne cherche à tirer sa gloire de la critique d’autrui, si ce n’est celui qui désespère de sa gloire propre. »