Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/178

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Oser arrogamment se vanter à mes yeux
D’être juste seigneur du bien de mes aïeux !
Lui qui n’a pour l’empire autre droit que ses crimes,
Lui qui de tous les miens fit autant de victimes,
Croire s’être lavé d’un si noir attentat
En imputant leur perte au repos de l’Etat !
Il fait plus, il me croit digne de cette excuse !
Souffre, souffre à ton tour que je te désabuse,
Apprends que si jadis quelques séditions
Usurpèrent le droit de ces élections,
L’empire était chez nous un bien héréditaire :
Maurice ne l’obtint qu’en gendre de Tibère,
Et l’on voit depuis lui remonter mon destin
Jusqu’au grand Théodose, et jusqu’à Constantin,
Et je pourrais avoir l’âme assez abattue…

Phocas

Eh bien, si tu le veux, je te le restitue,
Cet empire, et consens encor que ta fierté
Impute à mes remords l’effet de ma bonté :
Dis que je te le rends, et te fais des caresses
Pour apaiser des tiens les ombres vengeresses,
Et tout ce qui pourra, sous quelque autre couleur,
Autoriser ta haine et flatter ta douleur.
Par un dernier effort je veux souffrir la rage
Qu’allume dans ton cœur cette sanglante image.
Mais que t’a fait mon fils ? Etait-il, au berceau,
Des tiens que je perdis le juge ou le bourreau ?
Tant de vertus qu’en lui le monde entier admire
Ne l’ont-elles pas fait trop digne de l’empire ?
En ai-je eu quelque espoir qu’il n’ait assez rempli ?
Et voit-on sous le ciel prince plus accompli ?