Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/563

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Je vois sur la frontière une puissante armée,
Comme vous l’avez dit, à vaincre accoutumée ;
Mais par quelle conduite et sous quel général ?
Le roi, s’il s’en fait fort, pourrait s’en trouver mal ;
Et s’il voulait passer de son pays au nôtre,
Je lui conseillerais de s’assurer d’un autre.
Mais je vis dans sa cour, je suis dans ses Etats,
Et j’ai peu de raison de ne le craindre pas ?
Seigneur, dans sa cour même et hors de l’Arménie,
La vertu trouve appui contre la tyrannie :
Tout son peuple a des yeux pour voir quel attentat
Font sur lé bien public les maximes d’Etat :
Il connaît Nicomède, il connaît sa marâtre :
Il en sait, il ne voit la haine opiniâtre ;
Il voit la servitude où le roi s’est soumis,
Et connaît d’autant mieux les dangereux amis.
Pour moi, que vous croyez au bord du précipice,
Bien loin de mépriser Attale par caprice,
J’évite les mépris qu’il recevrait de moi
S’il tenait de ma main la qualité de roi :
Je le regarderais comme une âme commune,
Comme un homme mieux né pour une autre fortune,
Plus mon sujet qu’époux ; et le nœud conjugal
Ne le tirerait pas de ce rang inégal.
Mon peuple à mon exemple en ferait peu d’estime.
Ce serait trop, seigneur, pour un cœur magnanime :
Mon refus lui fait grâce ; et, malgré ses désirs,
J’épargne à sa vertu d’éternels déplaisirs.

Flaminius. Si vous me dites vrai, vous êtes ici reine :
Sur l’armée et la cour je vous vois souveraine ;