Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/578

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S’il faut grâce pour moi, choisissez de mes crimes ;
Les voilà tous, madame ; et si vous y joignez
D’avoir cru des méchants par quelque autre gagnés,
D’avoir une âme ouverte, une franchise entière,
Qui dans leur artifice a manqué de lumière,
C’est gloire et non pas crime à qui ne voit le jour
Qu’au milieu d’une armée et loin de votre cour,
Qui n’a que la vertu de son intelligence,
Et, vivant sans remords, marche sans défiance.

Arsinoé. Je m’en dédis, seigneur ; il n’est point criminel.
S’il m’a voulu noircir d’un opprobre éternel,
Il n’a fait qu’obéir à la haine ordinaire
Qu’imprime à ses pareils le nom de belle-mère.
De cette aversion son cœur préoccupé
M’impute tous les traits dont il se sent frappé.
Que son maître Annibal, malgré la foi publique,
S’abandonne aux fureurs d’une terreur panique ;
Que ce vieillard confie et gloire et liberté
Plutôt au désespoir qu’à l’hospitalité ;
Ces terreurs, ces fureurs sont de mon artifice.
Quelque appât que lui-même il trouve en Laodice,
C’est moi qui fais qu’Attale a des yeux comme lui ;
C’est moi qui force Rome à lui servir d’appui ;
De cette seule main part tout ce qui le blesse :
Et, pour venger ce maître et sauver sa maîtresse,
S’il a tâché, seigneur, de m’éloigner de vous,
Tout est trop excusable en un amant jaloux.
Ce faible et vain effort ne touche point mon âme.
Je sais que tout mon crime est d’être votre femme :