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ACTE I, SCÈNE I.


N’est que le coup d’essai de ses illusions :
Il met tout en usage, et prière, et menace ;
Il attaque toujours, et jamais ne se lasse ;
Il croit pouvoir enfin ce qu’encore il n’a pu,
Et que ce qu’on diffère est à demi rompu.
Rompez ses premiers coups ; laissez pleurer Pauline.
Dieu ne veut point d’un cœur où le monde domine,
Qui regarde en arrière, et, douteux en son choix,
Lorsque sa voix l’appelle, écoute une autre voix.

POLYEUCTE.

Pour se donner à lui faut-il n’aimer personne ?

NÉARQUE.

Nous pouvons tout aimer, il le souffre, il l’ordonne ;
Mais, à vous dire tout, ce Seigneur des seigneurs
Veut le premier amour et les premiers honneurs.
Comme rien n’est égal à sa grandeur suprême,
Il faut ne rien aimer qu’après lui, qu’en lui-même,
Négliger, pour lui plaire, et femme et biens et rang,
Exposer pour sa gloire et verser tout son sang.
Mais que vous êtes loin de cette ardeur parfaite
Qui vous est nécessaire, et que je vous souhaite !
Je ne puis vous parler que les larmes aux yeux.
Polyeucte, aujourd’hui qu’on nous hait en tous lieux,
Qu’on croit servir l’État quand on nous persécute,
Qu’aux plus âpres tourmens un chrétien est en butte,
Comment en pourrez-vous surmonter les douleurs,
Si vous ne pouvez pas résister à des pleurs ?

POLYEUCTE.

Vous ne m’étonnez point ; la pitié qui me blesse
Sied bien aux plus grands cœurs, et n’a point de foiblesse.
Sur mes pareils, Néarque, un bel œil est bien fort :
Tel craint de le fâcher qui ne craint pas la mort ;
Et s’il faut affronter les plus cruels supplices,
Y trouver des appas, en faire mes délices,
Votre Dieu, que je n’ose encor nommer le mien,
M’en donnera la force en me faisant chrétien.

NÉARQUE.

Hâtez-vous donc de l’être.