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Que les hommes, les dieux, les démons, et le sort 425
Préparent contre nous un général effort;
Je mets à faire pis, en l’élat ofi nous sommes,
Le sort et les démons, et les dieux, et les hommes :
Ce qu’ils ont de cruel, et d’horrible, et d’affreux.
L’est bien moins que l’honneur qu’on nous fait à tous deux. 430

HORACE.

Le sort, qui de l’honneur nous ouvre la barrière,
Offre à notre constance une illustre matière :
Il épuise sa force à former un malheur.
Pour mieux se mesurer avec notre valeur;
Et, comme il voit en nous des âmes peu communes, 435
Hors de l’ordre commun il nous fait des fortunes.
Combattre un ennemi pour le salut de tous.
Et contre un inconnu s’exposer seul aux coups,
D’une simple vertu c’est l’effet ordinaire ;
Mille déjà l’ont fait, mille pourraient le faire. 440
Mourir pour le pays est un si digne sort

��425. Sur démons, voyer la note du vers 286. M. Géruzez rapproche de ce transport de Curiace le début de l’imprécation contre l’Angleterre, de J. du Bellay :

Mànec. ombres. e?prits, et si rantiqnité
A donné d’autres noms à votre déité,
Erèbe, Phlégéton. Slyx. Achéron. Cdpyte,
Le chaos et la nuit, et tout ee qui habite
A la gueule d’enfer, la rage, la fureur, etc.

Une analogie moins éloignée est celle qui existe entre le début de cette scène et ces vers de Ritrou, très antérieurs à ceux de Corneille :

Sue la terre et le ciel, ennemis de nos flammes, Unissent leurs fureurs pour désunir nos âmes ! {Hypocondriaque, I, l.)

426. Général effort, cette construction de l’adjectif avant le substantif n’est pas rare au xvu’ siècle : on allait jusqu’à dire natale province, sacré nœud, etc.

427. Je mets à faire pis, je défie de faire pis. On disait également : meltre quelqu’un au pis, à pis ou au pis faire, le défier de faire tout le mal qu’il a le pouvoir ou l’intention de faire :

Ils me feront plaisir; je les mets à pis faire. (P/dideiirs, H, 3.)

435. Var. Comme il ne nous prend pas pour des âmes communes.

436. De nombreux exemples, cités dans les Lexiques de MM. Godefroy et Marty-Laveaux, prouvent, contrairement à l’opinion de Voltaire, qu’on trouve chez les meilleurs auteurs fortunes au pluriel, sans épithète. Bossuet, La Fontaine, Saint-Simon, Vauvenargues, ont parlé bien des fois des fortunes de la terre, des fortunes humaines, de l’instabilité, de la vanité des fortunes ; c’est d’ailleurs un latinisme. Corneille a écrit ailleurs :

Il a droit de régner sur des âmes communes,

Non sur celles qui font et défont les fortunes. (Attila, lOBO.)

440. « Voltaire blâme ce deuxième hémistiche comme fait uniquement pour la rime. J’avoue que cette espèce de répétition ne me choque point : elle me semble naturelle, amenée par le sens et par le ton de la phrase. » (La Harpe.)