Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/307

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ACTE ni, SCENE II 12â

Comme vous l'imitez, faites la même chose,

Et formez vos remords d'une plus juste cause,

De vos lâches conseils, qui seuls ont arrêté

Le bonheur renaissant de notre liberté. 840

C'est vous seul aujourd'hui qui nous l'avez ôtée ;

De la main de César Brute l'eût acceptée,

Et n'eût jamais souffert qu'un intérêt léger

De vengeance ou d'amour l'eût remise en danger.

N'écoutez plus la voix d'un tyran qui vous aime, &i5

Et vous veut faire part de son pouvoir suprême ;

Mais entendez crier Rome à votre côté :

« Rends-moi, rends-moi. Cinna, ce que tu m'as ôté,

Et, si tu m'as tantôt préféré ta maîtresse.

Ne me préfère pas le tyran qui m'oppresse ! » 830

CINNA.

Ami, n'accable plus un esprit malheureux

Qui ne forme qu'en lâche un dessein généreux.

Envers nos citoyens je sais quelle est ma faute,

Et leur rendrai bientôt tout ce que je leur ôte;

Mais pardonne aux abois d'une vieille amitié 855

qti'il en reçut plus de bien, et qu'il se vit plus aimé de lui), Corneille n'en ex- prime qu'un. L'ellipse est hardie. Si l'on voulait éviter la répétition de plus, il ■faudrait écrire : qu'il en reçut des biens. M. Marty-La veaux ne cite que cet exemple de plus exprimé au premier membre de phrase et omis au second.

840. i< Voilà la plus forte critique du rôle qu'a joué Cinna dans la conférence avec Auguste; aussi Cinna n'y répond-il point. » (Voltaire.) Maxime a trop rai- »on. En revanche, Palissot n'a pas de peine à défendre contre Voltaire la clarté de ces vers, dont le sens est : Ce sont les conseils donnés par vous à Auguste qui ont arrêté (c'est-à-dire suspendu, empêché) le bonheur que nous aurait causé la renaissance de la liberté romaine.

846. Voyez la note du v. 811 ; il semble que Maxime lise au fond de l'âme de Cinna et refuse, non sans ironie, d'être dupe d'un repentir où entre un peu d'ambition.

849. Tantôt, pour «Z y a un moment, est familier à Corneille; voyez le v. 819.

850. Oppresser ne s'emploierait plus aujourd'hui qu'au propre ; mais alors, et surtout au ivi» siècle, il ne se distinguait pas d'opprimer : « Dieu est secourable eoGn aux oppressés, et il chastie ceux qui les oppriment. » (La Noue.)

852. Var. Qui même fait en làctie un acte généreax. (1643-64.) 855. La ville aux abois, on lui parle d'accord. [Rodogune, 27*.)

Et ces esprits légers, approchant des abois, Pourraient bien se dédire une seconde fois. {Nicomède, Vf, n.)

Dans Sophonisbe (V, vni), Corneille a dit : sa haine aux abois. Au propre, les abois sont les aboiements des chiens, forçant le cerf, par suite le moment où I«  cerf est à la dernière extrémité: d'où, la dernière extrémité au figuré. Ici, les abois pourraient se tv.tduire par le dernier reste, le dernier souvenir d'une ami- tié expirante. Ce mot. vanté par Henri Estienne et M. Littré, n'est plus guère usité, en dehors du laiig;ige de la vénerie, que dans 1.^ locution : être aux abois, — « Cette vieille amitié est celle de Cinna pour Auguste. Il l'aimait donc? 11 n'y ■ guère paru Jusqu'à présent. » (M. Geruzez.)

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