Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/426

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et qu’il lui avait commandé d’adoucir en sa faveur ; l’autre, pour rompre plus aisément la conversation avec lui, en se retirant dans ce cabinet s’il ne voulait pas la quitter à sa prière, et se délivrer, par cette retraite, d’un entretien dangereux pour elle ; ce qu’elle n’eût pu faire si elle eût reçu sa visite dans son appartement.

Sa confidence avec Stratonice, touchant l’amour qu’elle avait eu pour ce cavalier, me fait faire une réflexion sur le temps qu elle prend pour cela. Il s’en fait beaucoup sur nos théâtres, d’affections qui ont déjà duré deux ou trois ans, dont on attend à révéler le secret justement au jour de l’action qui se représente, et non seulement sans aucune raison de choisir ce jour-là plutôt qu’un autre pour le déclarer, mais lors même que vraisemblablement on s’en est dû ouvrir beaucoup auparavant avec la personne à qui on en fait confidence. Ce sont choses dont il faut instruire le spectateur, en les faisant apprendre par un des acteurs à l’autre ; mais il faut prendre garde avec soin que celui à qui on les apprend ait eu lieu de les ignorer jusque-là, aussi bien que le spectateur, et que quelque occasion tirée du sujet oblige celui qui les récite à rompre enfin un silence qu’il a gardé si longtemps. L’infante, dans le Cid, avoue à Léonor l’amour secret qu’elle a pour lui, et l’aurait pu faire un an ou six mois plus tôt. Cléopâtre, dans Pompée, ne prend pas des mesures plus justes avec Charmion ; elle lui conte la passion de César pour elle, et comme

Chaque jour ses courriers
Lui portent en tribut ses vœux et ses lauriers.

Cependant, comme il ne paraît personne avec qui elle ait plus d’ouverture de cœur qu’avec cette Charmion, il y a grande apparence que c’était elle-même dont cette reine se servait pour introduire ces courriers, et qu’ainsi elle devait savoir déjà tout ce commerce entre César et sa maîtresse. Du moins il fallait marquer quelque raison qui lui eût laissé ignorer jusque-là tout ce qu’elle lui apprend, et de quel autre ministère cette princesse s’était servie pour recevoir ces courriers. Il n’en va pas de même ici. Pauline ne s’ouvre avec Stratonice que pour lui faire entendre le songe qui la trouble et les sujets qu’elle a de s’en alarmer; et, comme elle n’a fait ce songe que la nuit d’auparavant, et qu’elle ne lui eu; jamais révélé son secret sans cette occasion qui l’y oblige, on peut dire qu’elle n’a point eu lieu de lui faire cette confidence plus tôt qu’elle ne l’a faite.