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ACTE III, SCÈNE I 239

Des montagnes de morts, des rivières de sang. 785

LAODICE.

Je perdrai mes Etats, et garderai mon rang; Et ces vastes malheurs où mon orgueil me jette, Me feront votre esclave, et non votre sujette : Ma vie est en vos mains, mais non ma dignité.

PRUSIAS.

Nous ferons bien changer ce courage indompté, 790

Et quand vos yeux, frappés de toutes ces misères. Verront Attale assis au trône de vos pères, Alors, peut-être, alors vous le prierez en vain

78o. « Le faible Prusias, qui parle tout d'un coup de montagnes de morts à une jeune princesse, ne ressenible-t-il pas trop à ces personnages de comédie qui tremblent devant les forts et qui sont hardis avec les faibles? » (Voltaire.) — <i C'est justement le caractère que l'auteur a voulu mettre en relief. La faute est à Prusias de s'être montré tel dans toute sa vie; on doit louer Corneille de l'avoir peint si ressemblant. Ces hyperboles et ces emportements ajoutent un trait de vé- rité de plus à ce portrait. Comme après tout ce vain fracas de menaces de Pru- sias le calme et la fermeté de Laodice paraissent plus magnanimes! » (Naudet.) — L'hyperbole des « montagnes de morts " se trouve déj'i au v. de l'ompi'c, ou Corneille traduit Lucain :

remit propulsa criiore

F!)muna,et nxrclsos cunmlis aquaiitia colles Vorpora

Un autre passage de Lucain avait été traduit par Brébeuf dans le vers ridicu- lisé par Boileau :

De morts et de mo.-.rants cent montagnes plaintive.-.

787. Où, qui signifiait auxquels dans les v. 26 et 274, signifie dans lesquels en ce passage, et signifiera vers laquelle au v. \i^8. — « L'expression de vastes wa^- ApHr.'î, dit M. Godefroy. est peut-être une réminiscence d'un po?te latin cher à Cor- neille, de Sénèque le Tragique, lequel a dit : vastuin milum [Hitc. Œt,, 123i) et vastum nefas {Ibid., 707). Du reste, on a dit d'une manière analogue :

Assez et trop longtemps une funeste guerre Par ses vastes horreurs désole cette li-rre

(Tliomas Corneille, Mort iVAch., I, i\

et d'une manière approchante :

El, traînant avec soi les lioireurs de la guerre.

De sa vaste folie emplir toute la terre. (Boileau, satire viu.)

M. Godel'roy a raison, et, s'il n'est pas sûr qur" l'expression soit une réminis- cence de Séneque le Tragique, il est certain qu'elle est un latinisme. Mais il semble aussi qu'il y ait une intention ironique dans l'emploi de ce terme, sur lequel doit porter l'accent dans le vers. Laodice, dont l'héroïsme, comme celui de Nicomède, prend volontiers cette forme de la raillerie, ne veut-elle pas faire entendre à Pru- sias qu'elle n'est pas dupe de ses hyperboles menaçantes, et n'a nulle frayeur des malheurs démesurés qu'il lui prédit gravement?

780. Var. Ma vie est en vos mains, et non ma dignité. (1C5I.)

Laodice est ici tout à fait digne de Nicomède.

790. Var. Nous verrons bien chan^ei- ce courage indompté. (1G51-3G.)

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