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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/151

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— Le succès des Anecdotes de la cour de François Ier, par Mlle de Lussan[1], n’est pas, à beaucoup près, aussi brillant que celui des Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste[2], qu’elle publia il y a quelques années. Le règne de François Ier, qui a été celui de la galanterie, devait fournir à l’auteur les aventures les plus intéressantes et lui échauffer l’imagination. Cependant son nouveau roman n’a pas cette chaleur et cet intérêt qu’elle a su jeter dans ses autres ouvrages. Peut-être aussi l’historique, dont elle a voulu faire un mélange avec sa fable, contribue-t-il un peu à ce défaut. Il faut opter, quand on écrit, et ne pas faire une bigarrure déplaisante. La sagesse de l’histoire ne peut pas s’allier avec les saillies de l’imagination. Celles-ci ne plaisent qu’à force de parures, celle-là n’a de prix que par sa majestueuse simplicité. Au reste, ces anecdotes feront pourtant quelque plaisir à lire ; on y reconnaît toujours la plume abondante, agréable et facile qui les a écrites.

— La chute de six ou sept Coriolans, qui n’ont paru quelquefois sur nos théâtres que pour y mourir au bruit des sifflets, aurait bien dû persuader aux Français que ce morceau d’histoire, tout brillant qu’il est, prête cependant peu de situations heureuses à la scène tragique. M. Mauger, l’auteur d’Amestris, pièce assez médiocre et qui doit le peu de succès qu’elle eut à la surprise où l’on fut de voir un auteur tragique dans un garde-du-corps, a donc été bien téméraire d’oser tenter le sort, et de s’embarquer sur une mer encore couverte des débris et des ruines de ceux qui y ont navigué. Nautonnier imprudent, son audace a rendu son naufrage éclatant. Les deux premiers actes ne sont qu’une exposition de sujet, et de là nécessairement languissants. Les scènes en sont mal liées, les caractères mal fondus ; il n’y règne point cette chaleur heureuse qui assure le succès des pièces. Ce n’est tout au plus qu’un assemblage mal dirigé d’amplifications de collège, relevées par quelques maximes détachées de politique, et à peu près aussi bien amenées que celles du vieux Sénèque. Coriolan, dans tout le cours de la pièce y paraît plus dégradé, plus avili que grand et que Romain. Les grâces tendres et naïves de la charmante Gaussin

  1. Paris, 1748, 3 vol. in-12,
  2. Paris, 1748, 6 vol. in-12. (En collaboration avec l’abbc Boismorand.)