Vous recevez son cœur des mains de la nature.
Si ce cœur jusqu’ici de lui-même ignoré
Connaît un sentiment, vous l’avez inspiré.
Il en est un, ma sœur, un qu’elle doit connaître ;
Il est bien pur… Ma fille, un jour, un jour peut-être,
Ce sentiment plus fort et mieux développé
Saisira votre cœur plus vivement frappé.
Vous saurez à quel titre et pourquoi je vous aime ;
Vous connaîtrez mes droits ; vous les aurez vous-même.
Que jamais votre oubli ne m’oblige à pleurer
Le douloureux instant qui doit nous séparer !
Monsieur, à votre cœur je le demande en mère,
Que ma fille jamais ne me soit étrangère !
La nature et le sang n’ont point de préjugés :
La nature est pour moi si vous l’interrogez.
J’en atteste aujourd’hui les mânes d’un grand homme,
À ma fille inconnu, mais que mon cœur lui nomme.
Ce héros, dont la gloire environnait le front[1],
Du sang de Kœnigsmark ne sentit point l’affront.
Sa grande âme jamais n’en fut humiliée,
Et sa mère par lui ne fut point oubliée.
Pourquoi mêler, ma sœur, à ces heureux moments
Des doutes si cruels, de vains pressentiments ?
Ne versons aujourd’hui que des larmes de joie.
Ta sensibilité s’étend et se déploie,
Elle porte sur tout son inquiète ardeur ;
Fixe-la sur ta fille, et sois à ton bonheur.
Connais-tu des devoirs, des lois assez barbares
Qui puissent exiger… ? Non ma sœur, tu t’égares ;
Aurore, quel que soit son heureux avenir,
Ne peut jamais, crois-moi, perdre le souvenir
De nos soins prodigués à sa première enfance :
Le premier des devoirs est la reconnaissance.
Eh bien ! je m’abandonne à des transports plus doux ;
Ma fille et vous, monsieur, vous, son heureux époux,
- ↑ Il est assez plaisant qu’une créature de la lie du peuple, et qui a longtemps servi à la débauche des valets, ose se comparer à la comtesse de Kœnigsmark. Il y a à peu près aussi loin de la mère de Maurice à la mère d’Aurore, que dans un autre sens du père d’Aurore à l’époux d’Aurore, (Grimm.)