Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/171

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de Tacite, qui sera toujours la devise du souverain jaloux d’être un objet de vénération lorsque l’intérêt et la flatterie seront condamnés au silence : Nerva Cæsar res olim dissociabiles miscuit, principatum ac libertatem, auxitque facilitatem imperii Nerva Trajanus. Tout considéré, il vaut mieux ressembler à Titus, à Trajan, aux Antonins, qu’aux Claude et aux Caligula. La circonstance actuelle du fameux procès en Bretagne a donné une vogue étonnante à cet écrit, qui a été attribué par quelques-uns à M. Lambert, conseiller au Parlement de Paris, fort connu[1]. La fin en vaut infiniment mieux que le commencement. L’auteur y passe en revue toutes ces célèbres victimes qui ont été sacrifiées en différents temps de la monarchie, par des commissions extraordinaires, à la haine et à la puissance de leurs ennemis. L’auteur dit à cette occasion des choses fort touchantes ; tout bon Français lira avec émotion son apostrophe à Henri IV, et deux ou trois autres morceaux de cette trempe. Mais le commencement de l’écrit est d’un pauvre homme. L’auteur s’y récrie sur la constitution française, admirable sans doute, en ce que tous les ordres de citoyens y ont des prétentions, et qu’aucun d’entre eux n’a un seul droit incontestable et indépendant de la volonté du prince. J’appelle droit incontestable celui qui n’a jamais été disputé ni enlevé à un citoyen, et je n’en trouve pas qui mérite ce nom en France, si ce n’est celui qu’ont les ducs de faire entrer leurs carrosses dans la cour royale et les duchesses de prendre le tabouret chez la reine. L’auteur de l’écrit dont nous parlons ferait un code de droit public, à coup sûr pitoyable, s’il en était chargé. Il étend le pouvoir du souverain et la prérogative royale tant qu’on veut ; mais aussi il renouvelle toutes les prétentions des parlements, qu’il veut nous faire regarder comme les représentants de la nation. Il faut compter sur des lecteurs peu instruits dans l’histoire, quand on veut leur faire adopter ces maximes. Son début est surtout bien absurde : « Ce spectacle, dit-il, si admirable d’un gouvernement heureux qui sait accorder la puissance du souverain avec la liberté légitime des sujets, que Rome ne fit qu’entrevoir sous le règne adoré des Trajans, nés

  1. Attribué aussi à Le Paige, bailli du Temple, cet écrit est de Chaillou, avocat au parlement de Bretagne ; il a été réimprimé avec additions à Rennes, en 1789, sous le titre De la Stabilité des lois.