Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitter au marquis d’Argens la Provence, où il est retenu depuis deux ans[1].

— On vient de recueillir, en trois volumes in-12, les Œuvres de théâtre de M. Guyot de Merville[2]. Cet auteur s’avisa, à l’âge de quarante ans, d’écrire des comédies, que les acteurs des deux théâtres refusèrent, la plupart du temps, de représenter. M. Guyot de Merville était naturellement chagrin et tracassier ; il était de ces gens à qui, si on les en croit, tout le monde a toujours joué les tours les plus abominables. Il paraît que ce pauvre poëte n’a jamais eu d’aussi cruel ennemi que lui ; il aurait fallu avoir autant de talent qu’il avait bonne opinion de lui-même, et il eût été heureux ; mais malheureusement ses pièces sont froides, ennuyeuses et sans naturel. Le Consentement forcé est cependant resté au théâtre, et se joue de temps en temps, sans que je l’en estime davantage. Ce pauvre diable important s’était fait champion du poëte Rousseau, dans sa querelle avec M. de Voltaire. Son héros s’était fait chasser de France ; et lui, il s’expatria de chagrin, et, après avoir erré quelque temps en Suisse et autour du séjour de M. de Voltaire, il finit par se noyer, d’ennui et de désespoir, dans le lac de Genève, en 1755, âgé d’environ soixante ans[3]. Il fallait noyer ses pièces de théâtre avec lui. Ce recueil en contient plusieurs qui n’ont jamais été ni jouées ni imprimées. L’éditeur se flatte qu’on pourra les mettre au théâtre. Je plains les Comédiens s’ils n’ont que cette ressource pour faire une bonne année.

M. de Surgy vient de publier un Éloge historique de M. le marquis de Montmirail, fils de M. le marquis de Cour-

  1. Voir ce Mandement et des détails sur la manœuvre du roi de Prusse, au mois de janvier 1772 de cette Correspondance. (T.)
  2. Paris, Duchesne, 1766.
  3. On trouve une lettre fort curieuse de Guyot de Merville à Voltaire, tome I, p. 511 des Œuvres de Voltaire, édit. Lequien ; elle est datée du 15 avril 1755. Merville, qui s’était retiré sur les bords du lac de Genève, informé que Voltaire venait habiter les environs, lui écrivait pour lui demander pardon de l’avoir offensé par des vers satiriques, et lui offrait la dédicace de ses ouvrages. Voltaire répondit sèchement et poliment, mais refusa de le voir. Merville, désespéré, régla toutes ses affaires, et, après avoir établi le bilan de ses dettes, qu’il chargea un de ses amis, son bienfaiteur, d’acquitter, il sortit de chez celui-ci pour n’y plus rentrer. Son corps fut trouvé le 4 mai 1755, près le village d’Évian ; il était né le 1er février 1696. (T.)