Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/27

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chose que ce que je lui en dis à lui-même, lorsqu’il m’en fit la lecture… « Jamais l’art de la parole n’a été si indignement prostitué. Vous avez pris tous les grands hommes passés, présents et à venir, et vous les avez humiliés devant un enfant qui n’a rien dit ni rien fait. Votre prince valait-il mieux que Trajan ? Eh bien ! monsieur, sachez que Pline s’est déshonoré par son Éloge de Trajan. Vous avez un caractère de vérité et d’honnêteté à soutenir, et vous l’allez perdre. Si c’est un Tacite qui écrive un jour notre histoire, vous y serez marqué d’une flétrissure. Vous me faites jeter au feu tous les Éloges que vous avez faits, et vous me dispensez de lire tous ceux que vous ferez désormais. Je ne vous demande pas de prendre le cadavre du Dauphin, de l’étendre sur la rive de la Seine, et de lui faire, à l’exemple des Égyptiens, sévèrement son procès ; mais je ne vous permettrai jamais d’être un vil et maladroit courtisan. Si vous et moi nous fussions nés à la place du Dauphin, il y aurait paru peut-être ; nous ne serions pas restés trente ans ignorés, et la France aurait su qu’il s’élevait, dans l’intérieur d’un palais, un enfant qui serait peut-être un jour un grand homme. Il ne valait donc pas mieux que nous ? Or, je vous demande si vous auriez le front d’accepter votre éloge. Personne ne m’a jamais fait sentir comme vous combien la vérité, ou du moins l’art de se montrer vrai, était essentiel à l’orateur, puisque, malgré les choses hautes et grandes dont votre ouvrage est rempli, je n’ai pu vous accorder mon attention. On saura, monsieur, ce qui vous a déterminé à parler, et l’on ne vous pardonnera pas la petitesse de votre motif. Vous vous déshonorerez vous-même ; oui, monsieur, vous vous déshonorerez sans faire aucun honneur à la mémoire du Dauphin. Loin de me persuader, de me toucher, de m’émouvoir, vous m’avez indigné : vous n’avez donc pas été éloquent. Je ne suis pas venu comme César avec la condamnation de Ligarius signée ; mais il eût fallu s’y prendre autrement pour me la faire tomber des mains. Si votre prince méritait la centième partie des éloges que vous lui prodiguez, qui est-ce qui lui a ressemblé ? qui est-ce qui lui ressemblera ? Le passé ne l’a point égalé, l’avenir ne montrera rien qui légale. Vous m’opposez des garants éclairés, honnêtes et véridiques de ce que vous dites. Je ne connais point ces garants ; je