Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en conteste ni la véracité, ni les lumières ; mais trouvez-m’en un parmi eux qui ose monter en chaire à côté de vous, et dire : J’atteste que tout ce que cet orateur a dit est la vérité. Le public réclamera, monsieur ; vous l’entendrez, et je ne vous accorde pas un mois pour rougir de votre ouvrage. Si j’avais comme vous cette voix qui sait évoquer les mânes, j’évoquerais celles de d’Aguesseau, de Sully, de Descartes ; vous entendriez leurs reproches, et vous ne les soutiendriez pas. Mais croyez‑vous qu’un père qui connaissait apparemment son fils puisse approuver un amas d’hyperboles dont il ne pourra se dissimuler le mensonge ? Que voulez-vous qu’il pense des lettres et de ceux qui les cultivent, lorsqu’un des plus honnêtes d’entre nous se résout à mentir à toute une nation avec aussi peu de pudeur ? Et ses sœurs, et sa femme ? Pour ses valets, ils en riront. Si j’étais votre frère, je me lèverais pendant la nuit, j’enlèverais cet Éloge de votre portefeuille, je le brûlerais, et je croirais vous avoir montré combien je vous aime. Seul, chez moi, le lisant, je l’aurais jeté cent fois à mes pieds, et je doute que le talent me l’eût fait ramasser. Vos exagérations feront plus de tort à votre héros que la satire la plus amère ; parce que la satire aurait révolté, et qu’un éloge outré fait supposer que l’orateur n’a pas trouvé dans les faits de quoi s’en passer. C’est inutilement que vous vous défendez par le prétexte de dire quelques vérités grandes et fortes que les rois n’ont point encore entendues ; ces vérités sont flétries, et restent sans effet par la vile application que vous en faites. Et que penseront les tyrans ? Comment redouteront-ils la voix de la postérité ? Qu’est-ce qui les arrêtera, lorsqu’ils pourront se dire à eux-mêmes : Faisons tout ce qu’il nous plaira ; il se trouvera toujours quelqu’un qui saura nous louer ? Vous êtes mille fois plus blâmable que Pline. Trajan était un grand prince ; Trajan vivait, Pline lui donnait peut-être une leçon ; mais le Dauphin est mort, il n’a plus de leçons à recevoir ; le moment d’être pesé dans la balance de la justice est venu ; et c’est ainsi que vous tenez cette balance ! Monsieur, monsieur, vous le dirai-je ? si j’étais roi, je défendrais à tout rhéteur, et spécialement à vous, d’oser écrire une ligne en ma faveur ; et si à la justice de Marc Antonin je joignais, malheureusement pour vous, la férocité de Phalaris, je vous ferais arracher la