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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

nistre protestant. Deux enfants naissent successivement de ce mariage ; mais pendant que leur malheureuse mère les porte dans son sein, son mari s’abandonne à tous les désordres. Une servante fait contre lui une déclaration de grossesse. La mauvaise conduite et les mauvais traitements de Jacques Roux obligent sa femme de plaider contre lui en séparation. À ce moment ce mari coupable lève le masque. Il se sent tout a coup touché par le doigt de Dieu. Il abjure sa religion et se fait catholique. Il prétend qu’il n’est pas marié, que sa femme n’est qu’une concubine, puisque leur contrat de mariage n’a pas été suivi de la bénédiction nuptiale d’un prêtre de l’Église romaine. En conséquence il demande à épouser en face de l’Église la servante devenue grosse par son fait ; et les curés de Grenoble, ou peut-être l’évêque de cette ville (car on ne dit pas qui) trouvent cette logique bonne, et après avoir reçu ce digne prosélyte dans le giron de l’Église, ils l’unissent par le sacrement du mariage a la compagne de ses débauches.

Tout cela est dans la règle, et exactement conforme à cette jurisprudence humaine, équitable et sensée, qui a reçu force de loi à la révocation de l’édit de Nantes. Grâce a cette belle jurisprudence, nous avons actuellement deux ou trois millions de bâtards dans le royaume, dont la loi ne reconnaît la légitimité et l’état civil qu’autant qu’il ne leur est pas contesté juridiquement ; mais des qu’il se trouve dans une famille un parent collatéral assez infâme et assez lâche pour oser préférer la richesse à l’honneur et à la probité, il est le maître d’arracher à l’enfant d’un protestant l’héritage de son père et de se le faire adjuger ; et le juge est obligé de consommer cette œuvre d’iniquité en déclarant l’héritier légitime bâtard. Dans le cas dont il s’agit, tout ce que la femme de Jacques Roux a pu faire, c’est de plaider contre son infâme mari en demande de dommages et intérêts ; et sans la noble et généreuse défense de l’avocat général du parlement, elle n’en aurait peut-être point obtenu.

Pour sentir toute la beauté de cette courageuse apologie, il faut considérer quelle est la charge d’un avocat général. Il est par sa place le gardien et le vengeur des lois reçues. C’est à lui de veiller à leur maintien et à leur exécution ; mais il ne lui appartient pas de décider de leur équité ou de leur injustice. Il faut voir dans le discours même avec quelle adresse et avec