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MAI 1767.

quelle noble assurance M. Servan marche entre ces deux écueils dont il est pressé. D’un côté, il ne s’écarte pas un instant du respect pour l’autorité et pour la loi reçue, dont le magistrat doit donner l’exemple aux autres citoyens ; de l’autre, il ne trahit pas un moment ni les droits de l’humanité, ni les cris de sa conscience, qui réclament également contre une loi barbare. La force et la sagesse marchent d’un pas égal dans ce beau discours. La cause particulière ne sert qu’à éclaircir d’importants points du droit public, et les intérêts d’une infortunée privée de la protection des lois apprennent à son défenseur à plaider la cause du genre humain. Si vous voulez faire abstraction du caractère public de M. Servan, et ne le regarder que comme écrivain, vous jugerez son esprit éclairé et solide, son style facile, noble et touchant : c’est la marque certaine d’une âme tendre et élevée ; et quant au talent, vous mettrez son morceau sur la sanction du mariage dans l’état de nature à côté de tout ce qui a été écrit de plus beau sur cette matière. On ferait un beau livre sur les causes, de la dépravation de la morale. Chaque parti en accuse son parti ennemi, afin de le rendre odieux. Le Parlement a traité les jésuites d’empoisonneurs publics, les jésuites ont reproché aux jansénistes de détruire la moralité des actions en ôtant à l’homme sa liberté. Les sots et les fripons se sont réunis contre les philosophes, le reproche de saper les fondements de la morale a été de tout temps le cri de guerre contre tout homme qui à osé penser d’après lui ; et les gouvernements ont été assez imbéciles pour croire a chaque cri la morale publique en danger. Quelle pauvreté ! Comme si cette morale publique, sa conservation ou sa dépravation pouvaient dépendre de la subtilité d’un sophiste, de la métaphysique d’un philosophe, des belles tirades d’un orateur, des décisions d’un casuiste sévère ou relâché ! C’est le législateur seul qui maintient ou qui corrompt la morale publique, c’est lui seul qui est l’écrivain utile ou dangereux d’un pays. C’est lorsque Jacques Roux peut à la face d’une cour souveraine répudier sa femme légitime et épouser la compagne de ses débauches ; c’est lorsque Louis Calas, converti à l’Église romaine, peut, après l’assassinat juridique de son vertueux père, pénétrer dans l’asile de sa mère infortunée, y conduire des archers pour arracher ses deux sœurs des bras de leur mère,