Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/44

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Voltaire n’entend pas cette morale, et il a été trop sensible à cette accusation pour l’oublier si vite.

— Il faut passer en revue une foule de romans qui ont paru depuis peu.

Lucy Wellers est un roman anglais en deux volumes, traduit par un certain M. le marquis de La Salle[1]. Cela est au-dessous du médiocre. Nous avons traduit tout ce que les Anglais ont de précieux en ce genre ; mais pourquoi traduire le mauvais ? Quant à nos traducteurs, quelque précipitation que feu l’abbé Prévost ait mise à faire ses traductions, il s’en faut bien qu’il ait été remplacé. On dit que ce roman est d’une dame de Londres ; et puisque Paris a sa Mme Bontemps, sa Mme Benoist, sa Mme Guibert, etc., etc., pourquoi Londres n’aurait-il pas les siennes ?

On attribue à l’auteur de Lucy Wellers un autre roman intitulé les Frères, ou Histoire de miss Osmond. Celui-ci vient aussi d’être traduit par M. de Puisieux, en quatre parties. Je ne sais si cette M. signifie monsieur ou madame de Puisieux[2]  ; car Mme de Puisieux était autrefois un auteur célèbre ; mais depuis que M. Diderot ne la voit plus, elle paraît avoir quitté la littérature. Quoi qu’il en soit, ce roman de Miss Osmond est encore plus pitoyable que le précédent.

Ne lisez pas les plats et tristes Mémoires du Chevalier de Gonthieu, publiés par M. de La Croix, en deux volumes. Ce M. de La Croix a bien les meilleures intentions du monde. C’est dommage que les gens à bonnes intentions soient de si pauvres poëtes et de si ennuyeux auteurs.

Les Mémoires d’une Religieuse, écrits par elle-même, et recueillis par M. de L…, en deux parties, sont d’une platitude bien plus amusante[3]. Du moins on y trouve une amante qui, quand on la chagrine, a un débordement de bile tout prêt qu’elle vomit sur ses persécuteurs. Son amant s’était sauvé sur un toit, et là, s’appuyant sur une cheminée, il entend les gémissements de sa triste maîtresse. Tout aussitôt ses forces l’abandonnent, les pieds lui manquent, et il tombe évanoui par

  1. La Haye et Paris, 1766, 2 vol. in-12,
  2. 1766, 4 part. in-12. L’m qui est sur le titre signifie monsieur.
  3. Les Mémoires d’une Religieuse (1766, 2 part. in-12) sont de l’abbé de Longchamps, mort à Paris, en 1812, dans une grande misère. (B.)