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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

bientôt les cris du commerce de France s’élevèrent contre lui et devinrent si forts qu’on fut obligé de le rappeler. Ce rappel eut les désagréments et les suites d’une disgrâce. Le commerce de France lui reprochait d’avoir favorisé, sans doute par des motifs d’intérêt personnel, le commerce des Anglais au préjudice du commerce national. M. de La Rivière répondait que le commerce français, au sortir d’une guerre aussi malheureuse et aussi funeste pour lui, était hors d’état de porter la moitié des choses essentielles à la conservation de la colonie dans l’état d’épuisement et de détresse ou elle se trouvait alors ; que cet état pressant ne lui avait laissé d’autre choix que celui d’admettre les Anglais pour approvisionner la colonie, ou bien de la laisser mourir de faim. Il me semble que les personnes au fait de ce procès sont persuadées que M. de La Rivière avait en ceci les vues très-justes, et que les mesures qu’elles lui avaient fait prendre étaient indispensables ; mais en même temps on ne le croit pas exempt du reproche d’avoir fait le commerce pour son propre compte, et ce reproche, lorsqu’il tombe sur un homme public, est toujours lié au soupçon de concussion. Cependant, la vie que M. de La Rivière a menée depuis son retour en France n’est pas Celle d’un homme opulent. Il présenta a son arrivée un mémoire apologétique de son administration à M. le duc de Choiseul, dont il se répandit des copies manuscrites dans le public. J’avoue que ce mémoire me parut l’ouvrage d’un homme d’État, et qu’il m’est encore incompréhensible que l’Ordre essentiel des sociétés politiques ait pu partir de la même plume.

Messieurs du mardi avaient annoncé ce livre comme une production merveilleuse. À la vérité, ils s’en attribuaient d’avance toute la gloire ; ils assuraient qu’il contenait leurs idées, leurs principes et leurs vues, que c’était le Newtonianisme rural pour les dames[1] et que la profondeur de la science y était mise à portée de nous autres pauvres diables, qui n’avions pas le bonheur d’être initiés dans ses mystères. De cette manière, MM. Quesnay et de Mirabeau s’associaient modestement au sublime Newton, en laissant à M. de La Rivière le rôle du peu sublime Algarotti.

Mais ce qui avait surtout prévenu le public en faveur de ce

  1. Allusion au titre du livre d’Algarotti, le Newtonianisme des dames, traduit par Duperron de Castéra, 1752, 2 vol. in-12.