Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
NOVEMBRE 1767.

l’autre tiers il s’agit d’une certaine Cécile, veuve d’un riche négociant quelle avait épouse malgré elle, et qui veut convoler en secondes noces avec un certain M. d’Olban, homme brusque, misanthrope et cynique, qu’elle n’aime pas plus que le défunt. Ce d’Olban, pour le dire en passant, serait le seul caractère tolérable, s’il n’était calqué sur celui du Misanthrope de Molière et de Freeport dans l’Écossaise. Reste un tiers de l’espace pour le galérien, et à quoi croyez-vous que ce héros de la pièce emploie le peu de temps que M. Fenouillot lui accorde ? À faire l’amour. Car il faut savoir que cette Cécile n’a jamais pu aimer ses maris, parce que dans sa jeunesse elle a aimé ce vertueux André, qui s’est mis aux galères à la place de son père, et dont elle ignore le sort. Cela produit une touchante reconnaissance, comme vous pouvez penser, entre l’amant et la maîtresse. Il doit être permis à une amante d’être un peu étonnée de retrouver son cher amant aux galères. Or, je vous donne à deviner ce qu’il se reproche. C’est d’avoir baisé dans un excès de passion la main de sa maîtresse. Il ne veut jamais lui dire par quel hasard il se trouve aux galères. Il met tout son héroïsme à lui cacher qu’il tient la place de son père, quoique ce vieillard ait servi aussi de père à Cécile, et qu’il soit impossible que son secret, confié à la tendresse de cette rare personne, l’expose au moindre risque. Cette Cécile, au reste, quoique élevée dans la maison d’un protestant, est bonne catholique ; mais elle pousse l’équité jusqu’à assurer sa commère que tous les protestants ne sont pas des gens de sac et de corde, et qu’elle a même remarqué des vertus parmi eux… Ô malheureux Fenouillot ! tes poumons se flétrissent à la fleur de ton âge, et je t’en plains ; mais ne crains-tu pas que moissonné avant le temps, victime de quelque divinité courroucée, tu n’expies le sacrilège d’avoir touché à un sujet pathétique, en ignorant entièrement les sources de la terreur et de la pitié ? Puisque tu voulais que ton galérien connût l’amour, ne fallait-il pas du moins substituer à ta veuve insipide et maussade une jeune fille simple, ingénue, vertueuse comme son amant ? Avec une lueur de génie, n’aurais-tu pas fait de cette petite fille une protestante zélée jusqu’au fanatisme ? Ivre d’amour et de ce fanatisme, d’une âme douce et tendre, à qui sa faiblesse même sert de sauvegarde, elle serait venue se jeter aux pieds du commandant des galères, elle lui aurait conté toute