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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

l’histoire de son amant, elle aurait rempli toute la ville de ses cris. Près de son amant, saisie du plus sublime enthousiasme, elle aurait vu en lui un héros au-dessus de l’humanité, un saint soutenu par l’assistance immédiate de son Dieu. C’est par cette exaltation de ses idées qu’elle aurait réussi à ennoblir à mes yeux les chaînes de l’ignominie, et à les transformer en marques d’honneur et de gloire. Quoi ! tout ce que tu fais dire à la louange de ton galérien, c’est que le commandant convient que depuis dix-huit mois qu’il est aux galères il n’a reçu aucune plainte contre lui, qu’il s’est même distingué de ses camarades par sa bonne conduite ? Quoi ! cet homme est le martyr de sa religion, il supporte pour elle un supplice plus cruel que la mort, et il n’est pas plus attaché à sa religion que toi ; il n’en parle jamais, il ne s’applaudit pas de souffrir pour sa cause, il n’en tire pas ses consolations lorsque son courage est près de l’abandonner ? Son père, qui survient au cinquième acte pour se mettre aux galères à sa place, n’est pas plus attaché à son culte que son fils ? Il dit qu’on n’est pas criminel pour se tromper, que si les protestants sont dans l’erreur, on ne peut les blâmer de rester attachés à la foi de leurs pères et d’espérer en la bonté de Dieu ? Est-ce là le langage d’un homme qui se résout à tout souffrir pour sa religion ? Et ton imbécile commandant appelle cela parler avec feu pour son parti, et en conclut que cet homme est un martyr, un apôtre de sa secte ; et de la plus juste réparation, si elle est possible envers ceux qu’on a réduits à la nécessité de braver la honte, tu en fais une affaire de clémence que ton ridicule commandant espère à peu près obtenir de la bonté du roi ! Crois-tu avoir élevé par ton ouvrage un trophée à la tolérance ? Va, je suis juste, je n’accuse pas ton cœur, mais ton imbécillité t’a exposé au malheur de blesser les droits les plus sacrés des citoyens, en voulant les assurer contre la méchanceté des hommes. Ô malheureux Fenouillot, s’il est vrai qu’Appollon fut le dieu de la poésie et de la médecine, ton drame et tes poumons ne prouvent que trop que ce dieu t’a pour toujours rejeté.

Malgré les marques évidentes de réprobation éternelle que ce drame porte à mes yeux, il n’a pas laissé de faire quelque sensation dans le public. C’est que l’auteur a eu le bonheur ou l’habileté de choisir un sujet qui est du moment, et qui jouit