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DÉCEMBRE 1767.

second… ne sait pas faire un air. Il ne lui vient rien et il tourne court. Un compositeur de cette force qui aurait l’insolence de se montrer sur un théâtre d’Italie ou d’Allemagne serait chassé à coups de sifflets avant la reprise de son premier air. M. Quétant a tiré le sujet de sa pièce de la fable de La Fontaine qui porte le même titre. Son mari, dont il a fait un braconnier, ne confie pas à sa femme, comme dans la fable, qu’il a pondu un œeuf, mais une chose bien plus grave : dans un accès de colère, il a eu le malheur de tuer Colin, braconnier comme lui, et son meilleur ami. Au reste, comme la querelle s’est passée sans témoins, sa femme sent parfaitement que la vie de son mari dépend d’un secret inviolable. Aussi ne le confie-t-elle sous le secret qu’à sa voisine, commère par excellence. Celle-ci ne le confie qu’à la maîtresse de Colin, qui devait l’épouser le lendemain. Celle-ci ne le confie dans sa douleur qu’à M. le bailli, qui ne le confie qu’à tout le village. Il en veut depuis longtemps aux deux braconniers, et il arrive à la fin de la pièce avec ses satellites pour faire pendre le meurtrier de Colin. Cependant Colin s’est tenu caché dans la maison de son meurtrier, pour jouir de l’indiscrétion de toutes ces femelles, et voir quelle impression la nouvelle de sa mort ferait sur le cœur de sa prétendue. Lorsqu’il entend celle-ci se lamenter de bonne foi, il s’avise de la consoler en faisant l’écho par le trou d’une lucarne. Il se montre enfin tout de bon, pour la désabuser, de sorte qu’à l’arrivée du bailli et de ses sbires, le prétendu mort est parfaitement ressuscité, et qu’au lieu du procès-verbal d’un meurtre, il ne s’agit plus que de la noce d’un tué. On ne peut rien voir de plus plat et de plus bête que M. Quétant et ses femmes avec leur secret. Nous sommes bien lotis ! Cette pièce a été sifflée à la première représentation. Elle s’est cependant relevée, et elle a été jouée depuis sa chute exactement. Si l’auteur en a ôté tout ce qu’il y avait de mauvais, il n’y est sûrement rien resté ; mais j’aime mieux la croire excellente que de l’aller voir jouer une seconde fois.

— Il paraît aujourd’hui problématique que l’épigramme contre M. Dorat soit une émanation immédiate de la plume du grand patriarche ; on l’impute au contraire à M. de La Harpe, qui l’a apportée de Ferney. Si je m’en rapporte à ma conviction intérieure, je continuerai à la croire de M. de Voltaire comme